jeudi 15 décembre 2011

Côte d'Ivoire : les secrets du transfert de Gbagbo à la CPI

 
L'ex-président Laurent Gbagbo en résidence surveillée, à Korhogo, le 2 mai 2011.L'ex-président Laurent Gbagbo en résidence surveillée, à Korhogo, le 2 mai 2011.© Sia Kambou/AFP
 
La remise par les autorités ivoirienne de l’ancien chef de l’État, Laurent Gbagbo, à la Cour pénale internationale (CPI) a été savamment orchestrée et rondement menée. Récit exclusif.
Les images des portes du pénitencier de Scheveningen se refermant derrière le véhicule transportant Laurent Gbagbo ont fait le tour du monde. Comme un clap de fin. Elles marquent l’épilogue d’une folle semaine où les avocats du désormais prisonnier le plus célèbre du monde n’ont pu empêcher son transfert à la Cour pénale internationale (CPI). Le scénario, écrit dans le plus grand secret – notamment lors d’une rencontre à Paris le 26 novembre – par le président ivoirien Alassane Ouattara et le procureur argentin Luis Moreno-Ocampo, a parfaitement fonctionné. « Ils nous ont pris de vitesse pour nous empêcher de déposer des recours », confie, un brin amer, Me Emmanuel Altit, l’avocat français de l’ancien chef d’État. Autre son de cloche du côté d’Abidjan. « Nous avons respecté toutes les procédures légales », affirme Me Jean-Paul Benoit, avocat de l’État ivoirien.
D'Abidjan à Scheveningen
11 avril-Laurent Gbagbo est arrêté dans sa résidence présidentielle, à Abidjan.
13 avril - Il est transféré à Korhogo, dans le nord du pays.
25 mai Amnesty - International accuse toutes les parties d’exactions après l’élection présidentielle du 28 novembre.
10 juin -Une commission d’enquête de l’ONU met en cause les forces armées de Gbagbo (FDS) et celles de Ouattara (FRCI).
23 juin - Le procureur de la Cour pénale internationale (CPI), Luis Moreno-Ocampo, demande l’ouverture d’une enquête sur de possibles crimes de guerre et crimes contre l’humanité.
29 juin -La Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) soutien la procédure.
18 août -La justice ivoirienne inculpe Gbagbo pour crimes économiques.
3 octobre -La CPI décide l’ouverture d’une enquête.
5 octobre -Human Rights Watch (HRW) met en cause 13 dirigeants civils et militaires dans les violences, dont l’ex-chef de l’État.
15 octobre -Visite de Moreno-Ocampo à Abidjan.
25 octobre -Le procureur demande la délivrance d’un mandat d’arrêt à l’encontre de Gbagbo.
23 novembre -Ce mandat d’arrêt est rédigé et signé par les juges de la CPI.
26 novembre - Rencontre à Paris entre Alassane Ouattara et Moreno-Ocampo.
29 novembre - Le mandat d’arrêt est signifié à Gbagbo à Korhogo, il est transféré dans la nuit à la prison de Scheveningen, près de La Haye, où sont placés les détenus de la CPI.
Vendredi 25 novembre
Branle-bas de combat
Vers midi, les défenseurs de Laurent Gbagbo sont informés par le palais de justice d’Abidjan que leur client doit être entendu, le 28 novembre, par un juge ivoirien dans le cadre de l’enquête ouverte sur les crimes économiques commis durant la période postélectorale, entre novembre 2010 et avril 2011. Branle-bas de combat au sein du collectif des avocats. Il faut rejoindre, au plus vite, Korhogo, à plus de 600 km, où se tiendra l’audience. Agathe Baroan, Serge Gbougnon et Toussaint Dako prennent rapidement la route pour la cité du Poro, où est détenu l’ancien président.
Samedi 26 et dimanche 27 novembre
« Sarko m’a tuer »
Leur consœur franco-camerounaise, Lucie Bourthoumieux, a également fait le voyage. Conseil stratégique de Laurent Gbagbo, elle travaille avec les ténors du barreau français, Mes Roland Dumas et Jacques Vergès. Dans la matinée du samedi, elle rend visite à l’ex-chef de l’État, dans la villa du gouverneur de Korhogo, où il est détenu. Au cours de cet entretien en tête à tête sont abordées les questions politiques à l’approche des élections législatives du 11 décembre et les actions de lobbying. Les défenseurs ivoiriens les rejoignent ensuite pour une séance de travail visant à préparer l’audience du lundi. Leur client a le moral et se montre combatif. Reclus depuis plus de sept mois, il consacre son temps à la lecture, aux prières, et regarde aussi la télévision.
Ce jour-là, il est en train de relire les Mémoires du général de Gaulle (Gallimard) après avoir avalé dernièrement Kamerun ! Une guerre cachée aux origines de la Françafrique (Éditions La Découverte), Le Visage de Dieu (Grasset), Mémoires du chef des services secrets de la France libre (Odile Jacob). Et, surtout, Sarko m’a tuer (Stock), le livre au titre évocateur des deux journalistes français Gérard Davet et Fabrice Lhomme. On lui remet aussi Le Coup d’État (Duboiris), une enquête qui lui est totalement favorable, signée du journaliste camerounais Charles Onana. Il commande enfin à Me Bourthoumieux de nouveaux livres rares de Flavius Josèphe, historien du Ier siècle, sur les conflits entre Rome et Jérusalem. Au cours de cette visite, le Dr Christophe Blé, qui vit aux côtés de Gbagbo, est appelé pour examiner le général Bruno Dogbo Blé, l’ancien patron de la Garde républicaine, également détenu à Korhogo. Cette information, parvenue aux oreilles des partisans de l’ancien président, est à l’origine d’une rumeur qui va faire le tour de la blogo­sphère durant le week-end : « On retire à Gbagbo son médecin pour l’extrader. » Il n’en est rien. Le docteur est rapidement de retour. Gbagbo, avant de se séparer de ses avocats, demande encore à Me Bourthoumieux de porter des nouvelles rassurantes à sa mère, 88 ans, qui vit à Accra.
Lundi 28 novembre
Piège ou diversion ?
Laurent Gbagbo est informé, dans la matinée, que le président de la chambre d’accusation d’Abidjan viendra examiner, le lendemain, ses conditions de détention. Une bonne nouvelle. Depuis plusieurs mois, il demande à pouvoir sortir dans la cour de sa résidence pour faire de l’exercice. Enfermé sept jours sur sept, il souffre de problèmes d’arthrose aux poignets et à l’épaule. Vers 15 heures, il rejoint ses avocats au tribunal d’instance de Korhogo pour répondre aux questions de la doyenne des juges d’instruction, Delphine Makoueni Cissé, dans le cadre de l’enquête sur les crimes économiques. Depuis les premières lueurs du jour, le bâtiment est fortement gardé par des militaires. Sur la porte principale, une affiche indique « fermeture au public jusqu’au 30 novembre ». L’interrogatoire va durer près de quatre heures avant que l’ex-président regagne sa villa. « Il a accepté de répondre aux questions », explique Me Gbougnon sans plus de détails. Gbagbo a rendez-vous le lendemain matin pour la poursuite de l’audition. Il ne se doute pas encore qu’il passe alors sa dernière nuit en Côte d’Ivoire.
(Le 29 novembre, Laurent Gbagbo est emmené à l'aéroport de Korhogo, où l'attend un Grumman de l'État ivoirien)
Mardi 29 novembre
La nasse
À 7 heures du matin, le tribunal d’instance est bouclé par les hommes du commandant Fofié Kouakou, à la tête de la Compagnie territoriale de Korhogo (CTK). Le personnel est mis en congé jusqu’au lendemain. Les avocats de Gbagbo se rendent au palais de justice pour la poursuite de l’audience. Accompagné de magistrats ivoiriens et des greffiers de la CPI arrivés d’Abidjan, le procureur de la République, Simplice Koffi Kouadio, entre alors en scène. Il notifie à Gbagbo son mandat d’arrêt à 13 h 35, avant de procéder à la vérification de son identité et de transmettre aussitôt le dossier à la chambre d’accusation, qui doit statuer sur l’extradition. Les avocats veulent s’y opposer en déposant un recours pour « arrestation, détention et transfèrement illégaux ». Refus catégorique. Après des discussions animées, Gbagbo met fin aux débats. Pour lui, c’est une décision politique et il ne sert à rien de la retarder. « Il était préparé psychologiquement. Depuis le mois de mai, il explique que Ouattara ne peut gouverner tant qu’il réside sur le territoire national, explique Me Gbougnon. Cette nouvelle épreuve n’est pas la fin de sa carrière politique. Il nous répète souvent que la prison est un chemin pour aller à la présidence. »
Vêtu d’un pantalon de couleur kaki et d’une chemise blanche, l’ex-président quitte alors le tribunal vers 18 heures au milieu d’un cortège de voitures aux vitres teintées escortées par les militaires ivoiriens et les Casques bleus. Direction : l’aéroport de Korhogo, où l’attend un Grumman de l’État de Côte d’Ivoire. Le site est entièrement quadrillé et impossible d’accès. À 18 h 21, l’avion décolle pour un vol à destination d’Abid­jan. Durant une brève escale, le temps de faire le plein de carburant, certains prétendent avoir vu Gbagbo menotté au salon d’honneur de l’aéroport. Une version démentie par les autorités ivoiriennes, qui assurent l’avoir traité « avec dignité ». Accompagné des greffiers et du personnel de sécurité de la CPI, et des représentants de l’État ivoirien, il remonte à bord du même Grumman. Sa prochaine destination : La Haye, aux Pays-Bas.
Mercredi 30 novembre
Premières formalités
Arrivé un peu après 4 heures du matin à l’aéroport de Rotterdam, Gbagbo est ensuite conduit à bord d’un van gris métallisé, escorté par une voiture de la police néerlandaise, au centre de détention de Scheveningen, dans la banlieue de La Haye. Le nouveau pensionnaire y prend ses quartiers. Dans la matinée, il subit un examen médical, se voit signifier le règlement intérieur et se prête aux formalités administratives. Son avocat français, Me Emmanuel Altit, saute alors dans le premier avion pour Rotterdam. Lui aussi passe sa journée à la CPI afin de régler les détails liés à la procédure judiciaire et aux visites. « La comparution initiale de Laurent Gbagbo est programmée pour le lundi 5 décembre à 14 heures », annonce la CPI dans un communiqué.
Ce qui attend gbagbo
Laurent Gbagbo a rendez-vous, le 5 décembre à 14 heures, avec la présidente de la 3e chambre préliminaire de la Cour pénale internationale (CPI), Silvia Fernández de Gurmendi, et ses deux assesseurs pour l’audience publique de comparution initiale. Les juges vérifieront son identité, lui signifieront ses droits et s’assureront qu’il a été informé des crimes dont il est soupçonné. Ce préambule sera suivi d’une audience de confirmation des charges dans quelques semaines, voire quelques mois. D’ici là, le procureur Luis Moreno-Ocampo et son équipe réuniront les preuves de l’accusation. Les avocats de l’État ivoirien, les Français Jean-Pierre Mignard et Jean-Paul Benoit, se rendront à la CPI, le 8 décembre, pour étudier les modalités de leur collaboration. De son côté, Gbagbo préparera sa défense avec ses avocats, dont il devra rapidement communiquer la liste. Il pourra alors s’entretenir librement et confidentiellement avec ses défenseurs. À l’issue de l’audience de confirmation des charges, les juges auront soixante jours pour rendre leur décision : abandonner ou poursuivre. S’ils poursuivent, le procès ne devrait pas avoir lieu avant plusieurs mois.
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mardi 6 décembre 2011

Côte d'Ivoire : Ouattara et Soro, partenaires particuliers

 
Le Président  ivoirien Alassane Ouattara (à g.) et son Premier ministre Guillaume Soro.Le Président ivoirien Alassane Ouattara (à g.) et son Premier ministre Guillaume Soro.© Issouf Sanogo/AFP
 
L’un joue au mentor, l’autre à l’élève appliqué… Rien ne les prédestinait à s’entendre, mais Alassane Ouattara, le chef de l’État ivoirien, et son Premier ministre, Guillaume Soro, ont fini par s’habituer l’un à l‘autre. Question d’intérêts bien compris.
Alassane Ouattara et Guillaume Soro. En Côte d’Ivoire, le chef de l’État ivoirien et le Premier ministre n’en finissent plus de se congratuler. Le 10 octobre, le second remerciait chaleureusement le premier pour « son précieux soutien » – c’était lors de l’ouverture d’un séminaire-bilan des cent premiers jours du gouvernement. Le lendemain, le président de la République félicitait son Premier ministre pour « la conduite rigoureuse des travaux ». Auparavant, il avait déjà loué la loyauté et l’implication d’un Guillaume Soro qui, depuis sa nomination, joue les élèves modèles et disciplinés. En public, depuis six mois qu'ils travaillent officiellement ensemble, les deux hommes affichent une cohésion sans faille et tiennent le même langage : travail, reconstruction, réconciliation.
Trop beau pour être vrai ? « Ce n’était pas gagné d’avance, mais ils forment un bon attelage, affirme un ministre qui souhaite garder l’anonymat. Soro apprend vite et il a parfaitement intégré la méthode Ouattara. Comme lui, il se montre disponible, très pragmatique, et va à l’essentiel. »
Au quotidien, la répartition des tâches est bien établie. Le chef de l’État se consacre à l’économie et à la diplomatie, tandis que le chef du gouvernement planche sur les questions de défense et de sécurité. Chaque semaine, le rituel est immuable. Le mercredi, c’est Guillaume Soro qui anime un Conseil de gouvernement. Le lendemain, Ouattara reprend la main et dirige le Conseil des ministres. Sur le terrain, les progrès sont visibles : l’activité économique a repris, l’administration s’est remise au travail, et la sécurité progresse, même si l’on déplore encore de nombreux débordements du côté des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI).
Petites mises au point
Officiellement, donc, pas un nuage dans la relation entre Ouattara et Soro. Mais cela n’exclut pas les affrontements à fleurets mouchetés, et les mises au point se font parfois par l’entremise des journaux acquis à la cause de l’un ou de l’autre (Le Patriote pour le président et Nord-Sud pour le Premier ministre).
Guillaume Soro sait qu'il lui faut ménager les anciens comzones, qui l'ont aidé à porter Ouattara au pouvoir. De g. à dr. : Issiaka Ouattara, dit "Wattao", Zakaria Koné, Chérif Ousmane et Hervé Touré, dit "Vetcho". (Crédit : Sia Kambou/AFP)
Impatient d’imposer le retour de l’État de droit et la fin de l’économie parallèle dans le nord de la Côte d’Ivoire, le chef de l’État s’inquiète du comportement des anciens comzones, qui ont longtemps accompagné Guillaume Soro, et de l’affairisme de certains membres du gouvernement. En fin politique, le Premier ministre sait qu’il doit malgré tout ménager ses anciens compagnons qui répètent à l’envi que ce sont eux qui « ont porté Ouattara au pouvoir ». Il ne souhaite pas non plus que l’on empiète sur ses prérogatives et s’offusque des interférences des hommes de la présidence. Parmi eux, Philippe Serey-Eiffel, conseiller économique d’Alassane Ouattara, et Amadou Gon Coulibaly, secrétaire général de la présidence, qui se mêlent de toutes les questions liées à l’économie, aux infrastructures et au budget, jusqu’à donner directement des consignes aux ministres. Début août, Soro a vu rouge et sommé lesdits ministres de ne plus obéir au conseiller français. Depuis, les choses sont rentrées dans l’ordre : Serey-Eiffel, nommé en septembre coordinateur du corps de conseillers de la présidence, a été prié de se faire discret.
Des itinéraires divergents
Au départ, rien ne prédestinait les deux hommes à s’entendre. Une génération les sépare : Ouattara, 69 ans, pourrait être le père de Soro, 39 ans. Le premier est malinké et musulman ; le second, sénoufo et catholique. Leurs parcours divergent aussi : le chef de l’État est un brillant économiste, passé par la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), le Fonds monétaire international (FMI) et la primature ivoirienne. La communauté internationale voit en lui une sorte de « président idéal » et ferme les yeux sur la poursuite des exactions.
Titulaire d’une maîtrise d’anglais, Soro est un ancien leader estudiantin arrivé au pouvoir par les armes. Excellent tribun, c’est un redoutable politicien dont les grandes puissances se méfient. Élevé à l’idéologie marxiste, il s’est converti au libéralisme, mais reste très souverainiste. Et quand Ouattara, son « grand frère », n’ose pas trop dire non à ses amis français, Soro, lui, n’a pas de problèmes de conscience – du moins pour le moment.
Entre les deux hommes, qui se tutoient, il y a donc un monde. Leur première rencontre date du milieu des années 1990. À l’époque, Soro dirigeait la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (Fesci). « Au début, nous n’étions pas vraiment sur la même longueur d’onde, précise le Premier ministre. J’étais plutôt proche de Laurent Gbagbo. » C’est lui d’ailleurs qui, involontairement, le jettera dans les bras de Ouattara en plaçant à la tête de la Fesci, fin 1998, un Bété, Charles Blé Goudé, plutôt que Yayoro Karamoko, dont Soro était proche, et qui est aujourd’hui leader de la jeunesse du Rassemblement des républicains (RDR).
Le jeune Soro s’éloigne de son mentor, qu’il accuse de surfer sur la vague de l’ivoirité. Il s’exile en Grande-Bretagne puis en France, où il poursuit ses études d’anglais et de sciences politiques. Il se rapproche d’Alassane Ouattara, qu’il voit à son domicile parisien. Lors de la campagne pour les législatives de décembre 2000, il s’engage même aux côtés d’Henriette Diabaté, la numéro deux du RDR. Prenant progressivement la tête politique de la rébellion des Forces nouvelles (FN) à partir de septembre 2002, il entretient une relation très régulière avec l’opposant Ouattara.
Les choses se gâtent quand, en mars 2007, Soro accepte de devenir le Premier ministre de Gbagbo. Dans l’entourage de Ouattara, on accuse le nouveau chef du gouvernement de jouer pour lui, voire même de trahir la grande « cause nordiste ». Et de fait, en février 2008, Soro ne répond pas à l’appel d’Alassane Ouattara, qui a ouvert les portes du RDR aux cadres des FN. Pourtant, même s’il a acheté une résidence dans le quartier de la Riviera, à Abidjan, Soro habite toujours au Golf Hôtel, à deux pas du domicile de Ouattara, qu’il continue à voir régulièrement.
« Il s’est définitivement rapproché quand il a compris que Gbagbo ferait tout pour l’éliminer après la présidentielle, explique un proche du chef du gouvernement. Pour lui, c’était une question de survie. Il a alors négocié son avenir, celui de ses représentants politiques et de sa branche armée. Ouattara s’est engagé dès la fin 2008 à intégrer les FN dans l’armée s’il était élu. »
Entre les deux tours de la présidentielle, fin 2010, les deux hommes se rencontrent discrètement et dessinent les scénarios de l’après-Gbagbo dans le cas d’une victoire finale de Ouattara. Ils ont soin d’associer Henri Konan Bédié, que Gbagbo tente lui aussi de courtiser. Ouattara va jusqu’à lui proposer de choisir le nom du futur Premier ministre, Soro pouvant aller à l’Assemblée nationale. Finalement, face à un Gbagbo qui refuse la défaite, Soro est reconduit pour mener la guerre.
L’ombre de Compaoré
Un autre homme a joué un rôle prépondérant dans l’alliance scellée entre Soro et Ouattara : le très secret Blaise Compaoré. Très proche des deux hommes, qu’il tutoie, le président burkinabè connaît le premier depuis une décennie, le second depuis près de trente ans. Que cherche-t-il en Côte d’Ivoire ? Le positionnement de son « enfant », le Burkina. Depuis l’ère coloniale, ses concitoyens migrent nombreux vers le royaume du cacao – il y aurait près de 3 millions de Burkinabè en Côte d’Ivoire (des paysans, pour la plupart, qui envoient régulièrement des fonds dans leur pays d’origine).
Pour Compaoré, Ouattara est l’homme qui peut enclencher la même dynamique de développement qu’Houphouët-Boigny. « Il a beaucoup d’admiration pour Ouattara, bien qu’il le trouve trop occidental dans sa tête, explique un proche du chef de l’État burkinabè. Il a donc mis à son service son expertise politique et lui a donné un grand coup de pouce lors de la dernière crise postélectorale. » C’est lui aussi qui fait entendre raison à Ouattara et arrondit les angles lorsque le feu couve avec le Premier ministre. Ce fut le cas en février 2010, quand Gbagbo décida de dissoudre la Commission électorale indépendante et le gouvernement – dissolution à laquelle Soro ne s’opposa pas suffisamment fermement selon Ouattara. Et c’est encore Compaoré qui conseille à Ouattara de cesser de menacer d’envoyer les comzones devant la Cour pénale internationale (CPI) afin de ne plus gêner les initiatives du chef du gouvernement pour les faire rentrer dans le rang.
Le président burkinabè a aussi aidé Soro à mûrir politiquement et à tenir une place capitale dans le processus de sortie de crise. Il a mis à sa disposition ses meilleurs experts : Djibril Bassolé, son ministre des Affaires étrangères, Mustapha Chafi, l’un de ses conseillers politiques, et Boureima Badini, son représentant en Côte d’Ivoire. Tous trois l’ont chaperonné à ses débuts et continuent aujourd’hui de le conseiller sur les dossiers sensibles. Soro voue une réelle affection à Compaoré, avec qui il échange quotidiennement, par téléphone ou par SMS. « Il m’a toujours soutenu en me conseillant et en m’encourageant, même aux heures les plus difficiles, mais sans jamais me dicter ma conduite », explique Soro. Aujourd’hui, Compaoré tient à ce que son « frère Alassane » travaille avec son « fils Guillaume », garant de ses propres intérêts.
Déjà un successeur ?
Pour le chef de l’État burkinabè, Soro est un pari sur l’avenir. C’est la continuité, l’assurance qu’Abidjan et Ouagadougou vont renforcer leur partenariat économique, politique et militaire. « Et on attend de Ouattara qu’il fasse la passe à Guillaume… », confie un proche du Premier ministre ivoirien.
Pour l’instant, le président ivoirien se veut rassurant. Il promet à Soro la succession au terme d’un deuxième mandat qu’il souhaite bien accomplir. Il parle peu du chef du gouvernement en présence des ambitieux leaders du RDR que sont Amadou Gon Coulibaly et Hamed Bakayoko, le ministre de l’Intérieur, mais tient ses promesses. Il a accepté le principe du redécoupage électoral, voulu par Soro, et fait une place à ses compagnons qui se présentent aux législatives sous la bannière RDR, le 11 décembre. « Soro a tout intérêt à attendre son heure en s’arrimant à la locomotive Ouattara, explique un diplomate occidental. Ce dernier, s’il réussit son pari, restera à la postérité comme celui qui a permis à la Côte d’Ivoire de devenir un pays émergent. Quant au Premier ministre, il est en train de se construire un bilan qui lui permettra de se positionner en légitime successeur. »
En attendant, Soro installe ses hommes aux postes clés de l’armée et de l’administration. En tout, plus de 2 000 fonctionnaires et près de 11 000 militaires en cours d’intégration. Politiquement, il a décidé de reporter le lancement de son parti. Mais le créera-t-il ? Candidat à la députation sous la bannière du RDR, il pourrait décider d’en briguer la direction ou de convoiter celle du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP), si celui-ci devait un jour se structurer en parti. Tout est possible.
Ouattara a promis de le reconduire à son poste pour une période de six mois à un an après les élections. Il semble avoir obtenu l’assentiment de son partenaire (Bédié) et des grandes puissances (France et États-Unis). Certains pensent même qu’il pourrait modifier la Constitution pour créer et lui confier un poste de vice-président. Une idée très en vogue en Afrique francophone (Sénégal, Gabon) et une fonction taillée sur mesure… Elle permettrait à Ouattara de respecter sa parole envers son allié Bédié en offrant au Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) la primature, tout en gardant Soro à ses côtés.
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Pascal Airault, envoyé spécial, avec Baudelaire Mieu, à Abidjan.

Côte d'Ivoire : ce qu'a dit Gbagbo à la CPI lors de sa première comparution

Laurent Gbagbo pour la première fois en audience devant la CPI, le 5 décembre 2011 à La Haye.Laurent Gbagbo pour la première fois en audience devant la CPI, le 5 décembre 2011 à La Haye.© AFP
 
Lors de sa première comparution à la CPI, Laurent Gbagbo s'est vu signifier les charges qui pèsent contre lui. Et s'en est pris vivement à la France. Florilège.
Première comparution de Laurent Gbagboà à la CPI. Le jury fait son entrée dans la salle à 14 heures précise. Laurent Gbagbo, les avocats de la défense, et l’accusation se lèvent puis se rassèyent. Costume bleu marine, cravate ciel et chemise blanche, l'ancien chef de l'État ivoirien est assis au dernier rang, à droite des juges. La juge Silvia Fernandez de Gurmendi lui demande de décliner son identité. « Je suis Laurent Koudou Gbagbo, mais officiellement, sur le papier, c’est Laurent Gbagbo. On m’appelle aussi Koudou, c’est mon vrai nom. Je suis né en 1945 à Gagnoa en république de Côte d’Ivoire », répond l’ancien président.
« Comprenez-vous bien le français », lui demande alors la juge. Réponse : « Je ne parle que français, malheureusement ». La juge rappelle qu’il ne s’agit pas d’un procès mais d’une audience qui a pour but de vérifier son identité, de lui signifier les charges qui pèsent contre lui et de lui lire ses droits. « J’ai été informé des crimes que l’on me reproche et de mes droits », se contente de dire Gbagbo avant de se rafraichîr. La juge lui explique qu’il ne peut témoigner contre lui-même et s’avouer coupable. Le detenu opine du chef avant de regarder les personnalités présentes dans le public, toutes assises derrière une vitre de verre.
Dans l'assistance, des représentants des corps diplomatiques, des militants associatifs ivoiriens, des membres des collectifs de victimes et, bien-sûr, la presse. Une centaine de journalistes ont fait le déplacement à La Haye. Il y a aussi Me Habiba Touré, une conseillère jurique de l'ex-président et Me Rodrigue Djadjé, l'avocat de Simone Gbagbo, l'épouse de Gbagbo actuellement recluse à Odienne au nord de la Côte d'Ivoire.
"C’est l’armée française qui a fait le travail"
À 14h11, en réponse à une question sur sa détention, l’ancien chef d’État se lève avant d’entamer un long plaidoyer contre l’intervention militaire de la France en Côte d’Ivoire et la manière de gouverner du président Ouattara. « Les conditions de ma détention à la Cour de La Haye sont correctes, a-t-il affirmé. Ce sont les conditions de détention normales d’un être humain. Par contre, celles de mon arrestation, le 11 avril 2011, le sont moins. J’ai été arrêté dans les décombres de la résidence officielle du chef de l’État qui a été bombardée du 31 mars au 11 avril. Le jour de l’assaut final, une cinquantaine de chars français ont encerclé la résidence. C’est l’armée française qui a fait le travail. Les forces régulières étaient alors de mon côté. Le ministre de l’Intérieur, Désiré Tagro, est décédé devant mes yeux. Mon médecin personnel, le Dr Christophe Blé, a également failli mourir. Mon fils aîné, Michel Gbagbo, actuellement en détention - pourquoi l’a-t-on arrêté si ce n’est parce que je suis son père - a été battu sous mes yeux. »
Je ne voyais pas le soleil. Ce n’est que lors des visites de mes avocats que j’ai pu voir la lumière du jour.
« On m’a alors emmené à l’hôtel du Golf, siège de campagne d’Alassane Ouattara. Le 13 avril, l’Onuci nous a transférés (avec son médecin, NDLR) à Korhogo, à plus de 500 km de là. On m’a alors enfermé dans une villa. On ma proposé trois repas par jour mais, comme je ne mange pas le matin, je n’en ai accepté que deux. Je ne voyais pas le soleil. Ce n’est que lors des visites de mes avocats que j’ai pu voir la lumière du jour. Et encore, mon avocat, Me Emmanuel Altit, est venu à Korhogo au terme d’un périple de deux jours. Mais on l’a empêché de me voir. J’ai connu l’enfermement sans pouvoir marcher, voir le ciel, sortir dehors. J’ai eu de nouvelles pathologies en plus de celles que j’ai déjà. Je ne suis plus un jeune de 20 ou 30 ans, vous savez. J’ai mal à l’épaule et aux poignets. Heureusement, depuis je suis arrivé à La Haye, j’ai passé des radios et on me donne des médicaments ».
"Surpris par certains comportements"
Le chef de l’État a alors marqué un léger temps mort, le temps de sourire et de lancer un regard à la presse, avant de continuer : « Concernant mon transfert à La Haye, je suis surpris par certains comportements... Là encore on nous a trompé. On m’a appelé (mardi dernier, NDLR) pour me demander de rencontrer un magistrat qui devait m’entendre dans le cadre d’une affaire. Pendant que l’on discutait avec ce magistrat au tribunal de Korhogo, le juge d’application des peines est arrivé avec le mandat d’arrêt de la CPI.
Immédiatement, j’ai improvisé (en fait, c’est la chambre d’accusation d’Abidjan qui s’est réunie exceptionnellement à Korhogo, NDLR) une séance de jugement pour que la Cour donne son autorisation à mon transfert. »
Je suis venu à La Haye sans rien excepté mon pantalon et ma chemise.
Nouvelle reprise de souffle avant de conclure : « Je suis là, on va maintenant aller jusqu’au bout. Madame la juge, je tiens toutefois à vous signaler, pour les cas futurs, que l’on peut faire les choses de manière plus normale. On n’a pas besoin de se cacher pour nous transférer à La Haye. J’ai dirigé la Côte d’Ivoire pendant dix ans. Je n’ai pas fait ça. Une fois l’audience de Korhogo achevée, mon geôlier (le commandant Fofié Kouakou, en poste à Korhogo, NDLR) m’a emmené dans sa voiture en direction de ma villa. Mais il a dépassé le lieu de ma résidence. "On ne s’arrête pas", ai-je demandé. Il m’a répondu : "Non, on va l’aéroport. Il n’est pas éclairé et votre avion doit partir avant 18 heures 30. Ou est ce que je vais ?" lui ai-je alors demandé. Il n’a pas eu le courage de me le dire. Il a dit : "Abidjan." J’ai alors rigolé car j’avais compris. Je suis venu à La Haye sans rien excepté mon pantalon et ma chemise.
La réaction de Toussaint Alain (communiqué)
(...) Par la seule volonté de la France, Ouattara a transféré à la CPI, le président Laurent Gbagbo en violation de la Constitution et des lois ivoiriennes. C’est un procès de type néo-colonial. La CPI est devenue l’instrument, la chose de la France qui s’en sert pour assouvir ses noirs desseins politiques, régenter le paysage politique en Afrique, aider à l’accession au pouvoir de copains ou punir les dirigeants africains indociles comme le président Gbagbo.
En effet, le statut d’ancien Chef d’État du Président Laurent Gbagbo aurait dû conditionner son transfèrement à une autorisation préalable de l’Assemblée nationale requise par le procureur général près la Cour suprême. Par ailleurs, en sa qualité actuelle de membre de droit du Conseil constitutionnel ivoirien, le transfèrement du président Laurent Gbagbo exigeait également une autorisation préalable du Conseil constitutionnel, outre l’arrêt de la Chambre d’accusation autorisant son extradition. Or, aucune de ces procédures ne fut respectée ! Aucune de ces autorisations préalables ne fut sollicitée par les autorités ivoiriennes.(...)
Madame la juge, prenez les précautions pour que dans d’autres pays, d’autres cas, cela ne se reproduise pas. Ça ne sert à rien. On veut faire croire que les gens ne veulent pas comparaître devant la CPI. Si on m’a accusé, c’est qu’on a des éléments de preuve. Lorsque je comparaîtrai, vous aurez les miens et vous jugerez. »
Hymne ivoirien
Laurent Gbagbo, s’est alors rassis à 14 heures 23 après une intervention de 12 minutes. La juge a alors fixé l’audience de confirmation des charges au 18 juin 2012. Une date qui pourra être reportée à la demande de l’accusation ou de la défense, si ceux-ci veulent plus de temps pour préparer l’audience. Mais ni le procureur Moreno Ocampo ni Me Emmanuel Altit n’ont, pour l’instant, émis ce souhait. La juge a alors demandé à ce qu’on attende la sortie des juges pour escorter Laurent Gbagbo en dehors du prétoire. L’ancien président s’est alors tourné vers le public. Il a salué Me Touré et Me Djadjé avant que le rideau se ferme.
Laurent Gbagbo a alors quitté la salle d’audience avant d’être ramené dans sa cellule de la prison de Scheveningen à une dizaine de kilomètres de là. Ses partisans, qui ont entonné l’hymne ivoirien durant les débats, ont eux aussi quitté leur loge avant de répondre aux questions de la presse. Dans les prochaines semaines et les prochains mois, le détenu va se consacrer à la préparation de sa défense qui, à l’image de ce qu’il a montré à cette audience, devrait être « musclée ». Ses cibles : la France et la république d’Alassane Ouattara.
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Par Pascal Airault, envoyé spécial à La Haye

vendredi 2 décembre 2011

Gbagbo et la Procedure judiciaire à la CPI

COTE D'IVOIRE:Transfèrement de Laurent Gbagbo: Le procureur de la République contredit le FPI



 

 
 



Laurent Gbagbo (ph)

ACTUALITÉ INFO NEWS COTE D'IVOIRE:: ARTICLE DE LA RÉDACTION DE KOACI EN COTE D'IVOIRE ::

© koaci.com - Le procureur de la république, Simplice Kouadio Koffi a déclaré ce jeudi lors d'une rencontre avec la presse que le transfèrement de l'ancien chef d'Etat, Laurent Gbagbo à la Haye s'est effectué conformément aux procédures pénales en vigueur en Côte d’Ivoire. Sa déclaration prend ainsi à contre pied celle du comité central du Front populaire ivoirien, (FPI) qui affirmait la veille que Laurent Gbagbo est victime d'un véritable hold-up politico-judiciaire.

"Toutes les étapes de la procédure ont été respectées," a indiqué le procureur de la République en réponse aux membres du comité central du FPI. Simplice Kouadio Koffi a également affirmé qu’il a, en personne, notifié, mardi dernier en début d’après midi, à l’ex chef de l’Etat, le mandat d’arrêt lancé à son encontre par le procureur de la CPI en présence de ses avocats. Il a expliqué que le dossier de procédures a été transmis au procureur général qui a procédé à son tour à la saisine de la chambre d'accusation. "La juridiction nationale compétente en matière d’extradition s'est réunie dans la foulée au palais de justice de Korhogo, où elle a rendu le même jour en début de soirée, un arrêt d’autorisation d’extradition de M. Laurent Gbagbo, au terme d’une audience," a-t-il insisté.

Toujours, selon le procureur de la République Simplice Kouadio Koffi l'ex-chef de l'Etat a été assisté par cinq avocats au cours de cette audience.

En dépit du transfèrement de Laurent Gbagbo au CPI, la justice ivoirienne maintient la pression. "L'extradition de l'ex-président n’empêche pas qu’il comparaisse plus tard à Abidjan, où il est également poursuivi pour "crimes économiques"," a réaffirmé le procureur de la République, précisant par ailleurs que cette comparution du fondateur du FPI ne se fera que si le juge d'instruction estime qu'il y a suffisamment de preuves contre lui.

Les poursuites contre les anciens dignitaires en exil ne sont pas arrêtées. Simplice Kouadio Koffi annoncé que les mandats d'arrêts lancés par son administration contre eux restent toujours en vigueur.


Wassimagnon, KOACI.COM ABIDJAN, copyright © koaci.com

mercredi 30 novembre 2011

Le Gâteau Ivoirien

28/11/2011 à 13h:02 Par Marwane Ben Yahmed
Abidjan, fin novembre. Six mois après l’arrivée au pouvoir d’Alassane Ouattara en Côte d’Ivoire et l’installation du gouvernement, la capitale économique revit. Si les stigmates de la guerre n’ont pas tous disparu, la ville n’en a pas moins retrouvé un peu du lustre qui, jadis, faisait sa fierté. Elle est plus propre, plus sûre et partiellement débarrassée des mille et un barrages des forces de sécurité qui empoisonnaient la vie des habitants, délestés à chaque passage de quelques milliers de francs CFA. Les travaux de voirie se multiplient, les taudis construits illégalement disparaissent progressivement – même si personne ne sait ce que deviennent ensuite leurs occupants ainsi « déguerpis » –, de nombreux bâtiments sont en cours de réhabilitation. Abidjan panse ses plaies, mais le traumatisme de la crise postélectorale est toujours vivace. La proximité des législatives du 11 décembre n’y est pas étrangère : la dernière fois qu’on a expliqué aux Ivoiriens qu’il fallait se rendre aux urnes pour tourner la page d’une décennie de conflit, ils se sont retrouvés avec une guerre ouverte sur les bras.
Ce scrutin est le premier test majeur pour le pays. Plus que les résultats, qui ne font guère de doute – la seule inconnue étant le rapport des forces entre le RDR d’Alassane Ouattara et le PDCI d’Henri Konan Bédié –, c’est le déroulement de l’opération qui suscite l’inquiétude. Dix mille policiers, dix mille gendarmes et cinq mille militaires seront déployés pour veiller au grain. Les grands moyens.
Ils sont 943 candidats en lice (représentant 35 partis) – dont 440 indépendants –, pour 1 182 dossiers déposés. Au final, 255 députés, élus par un peuple exténué qui veut la paix, du travail, des logements, une école qui fonctionne, des hôpitaux qui soignent… « Nous, on s’en fout ! RDR, PDCI, FPI, Lider… Peu importe, nous explique Adama, petit entrepreneur dans le bâtiment. On veut des gars qui travaillent enfin pour nous. Une part du gâteau que nous n’ayons pas à mendier ! » Sentiment largement partagé, y compris par cet ancien ministre touché par la grâce et le remord : « Pendant cinquante ans, et plus particulièrement au cours des dix dernières années, nous, les politiques, on a volé ces gens, on s’est tous enrichis. Nous avons tout : belles voitures, villas cossues, vins grands crus, champagne, jolies filles, vacances de rêve… Beaucoup de nos compatriotes n’ont rien. Comment ne pas comprendre leur ras-le-bol ? »
En Côte d’Ivoire, comme ailleurs en Afrique, la politique est toujours le chemin le plus court vers la fortune. Un chemin très fréquenté. Un exemple, qui résume à lui seul cette évidence et cette déviance : la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (Fesci), déclarée apolitique lors de sa création, en 1990. Les neuf secrétaires généraux qui se sont succédé à sa tête ont tous embrassé une carrière politicienne. Le millier de candidats aux législatives ont-ils compris que les Ivoiriens comme Adama souhaitent voir émerger une nouvelle classe dirigeante en lieu et place de la « mafia » qu’ils dénoncent ? Rien n’est moins sûr.

Côte d'Ivoire : Soro tire les leçons du transfèrement de Gbagbo à La Haye

30/11/2011 à 16h:29 Par Baudelaire Mieu, à Abidjan
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Pour Guillaume soro, le transfèrement de Gbagbo est le résultat de son manque de repentance.Pour Guillaume soro, le transfèrement de Gbagbo est le résultat de son manque de repentance.© Sia Kambou/AFP
À l’ouverture de la réunion hebdomadaire du Conseil des ministres, le chef du gouvernement ivoirien, Guillaume Soro, s’est exprimé au sujet du transfèrement de Laurent Gbagbo à La Haye, où ce dernier attend désormais d’être jugé par la CPI.
« Le gouvernement ivoirien prend acte du transfèrement de l'ancien président Laurent Gbagbo devant la CPI a la Haye. Je retiens deux leçons du transfèrement de l'ex-président. C'est le manque d'humilité et l'absence de repentance de son parti le FPI [Front populaire ivoirien, NDLR] comme le refus de celui-ci de participer à la formation du gouvernement et aux législatives, qui ont conduit l'ex-president à la CPI. Pendant sa détention a Korogho, Laurent Gbagbo n'a jamais entrepris aucune démarche pour entamer le dialogue avec le président Alassane Ouattara. Cela montre aussi que personne ne peut défier la communauté internationale », a déclaré mercredi 30 novembre le Premier ministre Guillaume Soro, à l'ouverture de la réunion hebdomadaire du conseil des ministres à Abidjan.
Ouattara chez Condé à Conakry
Le président Alassane Ouattara, lui ne s’est pas encore exprimé sur le sujet. Mais il est attendu jeudi à Conakry par son homologue guinéen Alpha Condé. Objectif de la visite : œuvrer pour le rapprochement entre les deux pays, alors que Condé est suspecté d’être l'un des derniers soutiens de Gbagbo.


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Laurent Gbagbo incarcéré au centre de détention de La Haye

AFP - L'ex-président ivoirien Laurent Gbagbo, 66 ans, sous le coup d'un mandat d'arrêt de la Cour pénale internationale (CPI), a été incarcéré aux Pays-Bas où il est arrivé dans la nuit de mardi à mercredi.
"Il est là", a annoncé à l'AFP une source proche du dossier, sous couvert de l'anonymat, alors que la CPI se refusait à tout commentaire depuis l'annonce du transfert de M. Gbagbo par l'un de ses avocats mardi après-midi. Il a été incarcéré au centre de détention de la CPI à La Haye.

L'avion transportant M. Gbagbo, affrété par les autorités ivoiriennes, a atterri à l'aéroport de Rotterdam (ouest des Pays-Bas) peu avant 04H00 (03H00 GMT). M. Gbagbo a ensuite été conduit en minubus à la prison de la CPI à La Haye, selon l'agence de presse néerlandaise ANP.

Laurent Gbagbo, dont le refus de céder le pouvoir après la présidentielle de novembre 2010 avait plongé le pays dans une crise meurtrière, est le premier ex-chef d'Etat à être remis à la Cour, premier tribunal pénal international permanent chargé de poursuivre les auteurs de génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre, entré en fonction en 2002

La remise de M. Gbagbo à la CPI intervient une dizaine de jours avant les élections législatives du 11 décembre, alors que la réconciliation entre le camp Gbagbo et celui du nouveau président Alassane Ouattara patine, après la crise post-électorale de décembre 2010-avril 2011 qui a fait quelque 3.000 morts.

Selon un communiqué du parquet ivoirien lu mardi soir sur la télévision publique, le procureur d'Abidjan Simplice Kouadio Koffi s'était rendu mardi à Korhogo (nord), où M. Gbagbo était détenu dans une résidence depuis avril, pour lui notifier, "en présence de ses avocats", le mandat d'arrêt émis par les juges de la CPI le 23 novembre.

Un cortège de plusieurs véhicules, notamment des Forces républicaines (FRCI, nouvelle armée ivoirienne) et de l'Opération des Nations unies en Côte d'Ivoire (Onuci), avait conduit mardi soir M. Gbagbo du palais de justice de Korhogo jusqu'à l'aéroport où l'attendait, à la nuit tombée, un avion affrété par les autorités ivoiriennes, avait constaté l'AFP.

A la demande d'Alassane Ouattara, la CPI conduit depuis octobre sa propre enquête sur des crimes contre l'humanité et crimes de guerre commis pendant la crise née du refus de M. Gbagbo de reconnaître sa défaite électorale, et qui s'est conclue par deux semaines de guerre.

Les forces pro-Gbagbo comme les ex-rebelles pro-Ouattara et leurs alliés sont pointés du doigt.

Avant même le transfert, les Etats-Unis ont jugé que M. Gbagbo "doit rendre des comptes pour les atteintes aux droits de l'homme qu'il a pu commettre", estimant que "tout procès crédible et transparent" est "certainement constructif dans l'optique de la réconciliation".

Human Rights Watch (HRW) a salué "un pas important sur la voie de la justice" mais a appelé à mener "sans tarder" des enquêtes sur les "crimes graves" des forces pro-Ouattara.

Me Lucie Bourthoumieux, l'une des avocates de M. Gbagbo, a affirmé que le mandat d'arrêt de la CPI était "illégal" et qu'il allait "exacerber les antagonismes entre toutes les parties".

Arrêté le 11 avril à Abidjan et détenu ensuite à Korhogo, fief de son rival, Laurent Gbagbo, de même que son épouse Simone qui est en détention à Odienné (nord-ouest), a été inculpé en août par la justice ivoirienne pour "crimes économiques" commis durant la crise.

Dans le cadre des mêmes enquêtes nationales, plusieurs dizaines de personnalités du régime déchu, des civils et des militaires, sont détenues pour crimes de sang, "atteinte à l'autorité de l'Etat" ou "crimes économiques".

Lors d'une visite à Abidjan le 15 octobre, le procureur de la CPI, Luis Moreno-Ocampo, avait promis une enquête "impartiale" et indiqué qu'il ciblerait "trois à six" personnes ayant les plus lourdes responsabilités dans les crimes.

Du côté des nouvelles autorités, on ne cachait pas depuis plusieurs semaines son impatience de voir Laurent Gbagbo transféré à La Haye, présentant parfois cet éloignement comme une condition de la réconciliation.

Mais le camp Gbagbo a toujours fait de la libération de son champion une exigence pour un apaisement. Il a invoqué notamment la détention de nombre de ses caciques pour choisir de boycotter les législatives.

De petits partis pro-Gbagbo qui s'étaient malgré tout résolus à présenter une vingtaine de candidatures ont dès mardi soir annoncé leur retrait du scrutin, jugeant le transfert de M. Gbagbo contraire à la "réconciliation".

mardi 29 novembre 2011

Ce qui attend Laurent Gbagbo à son arrivée à La Haye (REPERES)

LA HAYE - L`ancien président ivoirien Laurent Gbagbo, qui devait être transféré "au plus tard" mercredi à la Cour pénale internationale (CPI) à La Haye, selon un de ses avocats, sera d`abord conduit au quartier pénitentiaire de la CPI avant de participer à une audience de
comparution initiale.

-- PRISON : Le quartier pénitentiaire de la CPI, aménagé dans l`enceinte d`une prison néerlandaise dans le quartier de Scheveningen, à La Haye, est un centre de détention provisoire qui accueille cinq détenus de la cour.

Il est installé dans la même prison que le quartier pénitentiaire du Tribunal pénal international pour l`ex-Yougoslavie (TPIY), lui aussi basé à La Haye. L`ancien président libérien Charles Taylor, jugé par le Tribunal spécial pour la Sierra Leone, est également détenu dans cette prison.

Le greffier de la CPI Silvana Arbia, qui assure l`administration duv quartier pénitentiaire, "s`efforce de garantir le bien-être mental, physique et spirituel des personnes détenues", affirme la cour sur son site internet.

Les détenus disposent de cellules individuelles équipées notamment d`un ordinateur leur permettant de "travailler sur leur dossier". Ils peuvent suivre des cours d`informatique, utiliser un terrain d`exercice en plein air et participer à des activités sportives et de loisirs.

"Les personnes détenues sont autorisées à cuisiner", explique en outre la CPI, selon laquelle le greffier "accorde une attention spéciale aux visites de la famille".

-- COMPARUTION INITIALE : Le règlement de procédure et de preuve de la CPI prévoit que tout détenu "comparaît devant la chambre préliminaire en présence du procureur aussitôt après son arrivée à la cour".

Cette audience sert notamment à vérifier l`identité du suspect, à l`informer des crimes qui lui sont imputés et des droits que lui reconnaît le Statut de Rome, traité fondateur de la CPI.

Le dernier détenu arrivé au centre de détention, le haut dirigeant des rebelles hutu rwandais Callixte Mbarushimana, avait comparu devant les juges trois jours après son transfèrement à La Haye, le 25 janvier.

La chambre préliminaire doit également, lors de l`audience de comparution initiale, fixer la date "à laquelle elle entend tenir l`audience de confirmation des charges", étape préalable à la tenue d`un éventuel procès.

-- CONFIRMATION DES CHARGES : La confirmation des charges doit être organisée "dans un délai raisonnable" après la remise d`un détenu à la CPI, selon le Statut de Rome.

Lors de cette audience, le procureur doit convaincre les juges qu`il existe des "motifs substantiels de croire que la personne a commis chacun des crimes qui lui sont imputés" et que les preuves qu`il a recueillies sont assez solides pour la tenue d`un procès.

Les juges peuvent, au terme de cette audience, confirmer les charges et renvoyer la personne devant une chambre de première instance pour y être jugée, conclure qu`il n`y a pas de preuves suffisantes pour un procès, demander au procureur d`apporter des éléments de preuve supplémentaires ou modifier une ou plusieurs charges.

Lorsque les juges ont confirmé les charges, le président de la CPI nomme une chambre de première instance chargée de conduire la phase de préparation du procès.

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Côte d'Ivoire : Laurent Gbagbo officiellement inculpé par la CPI

L'inculpation de Gbagbo par la CPI prélude à son transfèrèment à La Haye.L'inculpation de Gbagbo par la CPI prélude à son transfèrèment à La Haye.© AFP
La Cour pénale internationale (CPI) a signifié son inculpation formelle à l'ancien chef d'État ivoirien Laurent Gbagbo. Ses proches et les avocats de la défense semblent abattus par cette nouvelle.
L'ex-président ivoirien Laurent Gbagbo a été inculpé ce mardi par la Cour pénale internationale (CPI). La nouvelle, bien qu'elle ne constituant pas véritablement une surprise, a profondément ébranlé ses proches. « Je suis abattu ». C'est la seule phrase qu'a pu prononcer Me Gbougnon, l'un des avocats du collectif d'avocats ivoiriens commis à la défense de l'ex-chef de l'État Laurent Gbagbo.
De bonne source, cette inculpation dont nous ne connaissons pas encore les détails a été signifiée ce mardi en fin de matinée à Laurent Gbagbo. Selon Touré Zéguen, chef des ex-miliciens en exil à Accra, ce seraient des magistrats ivoiriens qui se seraient chargés d'informer l'ex-chef d'État, détenu à Korhogo à la suite de son arrestation par les Forces républicaines de Côte d'Ivoire (FRCI), le 11 avril dernier.
Mandat d'arrêt
« Nous sommes face à la justice des vainqueurs, mais il n'y a pas de vainqueur éternel », a simplement commenté au téléphone Laurent Akoun, dont la voix semblait étreinte par l'émotion. Mais le secrétaire général du Front patriotique ivoirien (FPI, parti de Gbagbo) n'en sait pas davantage sur les circonstances et les termes de l'inculpation. Il précise simplement que les avocats de la défense lui ont aussi parlé d'un mandat d'arrêt dont il n'a pas encore les détails.


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lundi 21 novembre 2011

Libye : après Seif el-Islam, Abdallah Senoussi arrêté dans le sud du pays

Capture d’écran du site du 17 février : Seif el-Islam après son arrestation, le 19 novembre.Capture d’écran du site du 17 février : Seif el-Islam après son arrestation, le 19 novembre.© AFP
 
Abdallah Senoussi, l'ancien chef des services de renseignement libyens du temps de Mouammar Kaddafi, dont il était également le beau-frère, a été arrêté dimanche dans le sud du pays. Comme Seif el-Islam Kaddafi, il devrait être jugé en Libye, a affirmé le CNT.
Les autorités libyennes ont affirmé dimanche qu'elles n'exécuteraient pas les mandats d'arrêt internationaux lancés par la CPI contre Seif-el Islam Kadafi et Abdallah Senoussi (photo ci-dessous, © AFP), suspectés de crimes contre l'humanité. Le premier a été arrêté dans la nuit de vendredi à samedi par des ex-rebelles de Zenten et Barguen, dans la région de Wadi al-Ajal (sud), et le second dimanche par des brigades d'anciens combattants, dans la maison de sa sœur à Al-Guira (sud).
« La décision est qu'il [Seif el-Islam] sera jugé devant les tribunaux libyens. C'est une question de souveraineté nationale », a déclaré à la presse Abdelhafidh Ghoga, le vice-président et porte-parole du CNT, précisant qu'il en irait de même pour Senoussi. « Nous voulons que le procès de Seif al-Islam ait lieu en Libye car la justice locale est la règle et la justice internationale l'exception », avait expliqué peu avant le ministre de la Justice, Mohammed el-Allagui.

Procès équitable
« Nous avons les garanties nécessaires pour un procès équitable, en particulier après l'amendement d'une loi garantissant l'indépendance de la justice par rapport à l'exécutif », a-t-il assuré, répondant aux pressions de plusieurs pays, dont la France, les États-Unis et la Grande-Bretagne, dans le sens d'une coopération entre Tripoli et la CPI pour garantir un « procès équitable ».
« Si les autorités libyennes désirent mener le procès en Libye, il faut soumettre une demande à la CPI et les juges décideront éventuellement. Mais selon le principe de complémentarité et le Statut de Rome, la priorité est au droit national », avait expliqué dimanche soir un porte-parole de la CPI, Fadi El-Abdallah.
Seif el-Islam, 39 ans, est soupçonné par la CPI d'avoir joué un « rôle-clé dans la mise en œuvre d'un plan » visant à « réprimer par tous les moyens » la révolution libyenne, tandis que Senoussi, 62 ans, est poursuivi pour avoir été « la plus haute autorité des forces armées » sous le commandement duquel « des actes inhumains [auraient été infligés]à la population civile, la privant gravement de ses droits fondamentaux ».
Abou Salim et UTA
Senoussi est également aussi pointé du doigt dans le massacre de la prison d'Abou Salim à Tripoli, où plus de 1 000 prisonniers avaient été tués en 1996 dans une fusillade. Il avait également été condamné en France par contumace à la prison à vie en 1999 pour son implication dans l'attentat contre un DC-10 de la compagnie UTA en 1989, qui avait fait 170 morts.
Dimanche soir, Seif el-Islam était toujours aux mains des combattants pro-CNT de Zenten, à 170 km au sud-ouest de Tripoli.Répondant aux allégations de certains médias sur le fait que des combattants de Zenten refuseraient de remettre Seif el-Islam au CNT, Ghoga a affirmé que le prisonnier restait à Zenten pour des raisons de sécurité. « Si on veut transférer Seif à Tripoli, on le fera », a-t-il assuré.
Quoi qu'il en soit, l'annonce des arrestations de seif el-Islam et de Senoussi ont obligé le Premier ministre par intérim, Abdel Rahim al-Keib, à reporter de 48 heures l'annonce de son nouveau gouvernement, qui était prévue ce dimanche.
Bio express de Seif el-Islam
(Avec AFP)

mardi 8 novembre 2011

Témoignage / Alafé Wakili, DG de L’Intelligent d’Abidjan

Témoignage / Alafé Wakili, DG de L’Intelligent d’Abidjan : ‘’Toute la vérité entre Désiré Tagro et moi’’
Publié le mardi 8 novembre 2011 | L'intelligent d'Abidjan


© L'intelligent d'Abidjan par DR
Activités gouvernementales : le ministre des transports, Gaoussou Touré invité de la rédaction du quotidien l`intelligent d`Abidjan
Lundi 31 Octobre 2011. Abidjan. Siège du journal "l`intelligent d`Abidjan". L`invité de la rédaction est le ministre des Transports Gaoussou Touré. Plusieurs personnalités du monde des transports ont également fait le déplacement pour assister aux échanges. Photo: le DG, Assé Alafé



 
 




 
 

Décédé le 12 Avril 2001, Désiré Assignini Tagro a été inhumé le week-end dernier. Quelques amis et personnalités étaient discrètement à sa levée de corps, et ont participé à ses obsèques. Alafé Wakili, DG de l’IA, a accepté de répondre à nos questions, pour lever le voile sur certaines choses. Tout en précisant qu’il prépare un livre sur la question et bien d’autres choses.

Comment avez-vous connu le ministre Désiré Tagro ?
J’habitais un immeuble au Dokui qu’il fréquentait, et je le croisais quand il venait rendre visite à des personnes qu’il connaissait. Ensuite, je l’ai approché une fois quand il était au ministère de la Justice. Je n’avais pas eu de rapports directs avec lui, même quand il était porte-parole. C’est à partir de l’accord de Ouagadougou et de sa nomination au ministère de l’Intérieur, que j’ai eu l’occasion de le rencontrer plus souvent. Ce n’était pas une relation ancienne, mais plutôt une relation de travail et d’opportunité.

Racontez-nous votre première rencontre formelle avec lui….
Nous étions dans la période, après la signature de l’Accord de Ouaga, qui avait été signé pour 8 à 9 mois. Dès son premier message à la Nation, le Premier ministre Guillaume Soro a invité à faire fi du fétichisme des dates. J’ai alors estimé que nous étions partis pour une transition qui nous conduirait jusqu’à 2010. L’Intelligent d’Abidjan a creusé le dossier et mené des investigations, qui ont permis de savoir que Désiré Tagro et le Premier ministre étaient en désaccord sur la question. Puis il y a eu l’affaire de l’installation des préfets, des sous-préfets, et bien d’autres dossiers. L’Intelligent d’Abidjan prenait des positions pas favorables à la Primature. C’est alors qu’un patron de presse décédé (paix à son âme), a approché Désiré Tagro, pour lui demander s’il me connaissait, et si c’est lui qui me poussait à écrire. Le ministre de l’Intérieur a dit qu’il ne me connaissait pas, mais souhaitait me rencontrer. Il était au courant qu’on disait qu’il me manipulait pour écrire contre Guillaume Soro. Des gens passaient lui demander des moyens pour moi. Il appréciait certes les articles, mais Désiré Tagro souhaitait me rencontrer pour me donner des informations plus exactes, et éventuellement mieux me connaître, pour assumer et endosser les articles qu’on le soupçonnait de susciter. Il voulait vraiment être commanditaire, pour éviter qu’on ‘’gâte’’ son nom, alors qu’il ne l’était pas. C’est ainsi qu’un matin, nous sommes allés à son domicile. Il m’a encouragé pour le travail que l’IA faisait, alors que le journal n’était pas de leur bord. En tout cas, selon lui, l’Intelligent d’Abidjan n’était pas sur la liste des journaux estampillés pro-Gbagbo. Il voulait savoir mes motivations et mon pedigree. Il a promis des moyens, tout en disant qu’il n’a pas un budget de souveraineté, comme le Premier ministre Guillaume Soro ; que si je voulais de l’argent, il me conseillait de rejoindre Guillaume Soro. Désiré Tagro se plaignait de ce que l’entourage de Guillaume Soro lui reproche de vouloir être Premier ministre et répondait ceci : « Mais je ne peux pas être Premier ministre de Laurent Gbagbo. Même si je suis d’Issia et que lui est de Gagnoa, je suis quand même Bété ! Comment peut-on écrire que je veux être Premier ministre ; ce n’est pas possible. Le Premier ministre ne doit pas se saisir de cela, pour ruser avec Ouaga». Par la suite, nous nous sommes rencontrés souvent pour faire le point de la situation. Il m’a affecté deux gardes du corps, et a sécurisé la rédaction de l’Intelligent d’Abidjan, puisqu’à cette période, les rédactions faisaient l’objet d’attaques. L’Intelligent d’Abidjan paraissait anti-Ouaga, anti-Soro, ou pro-Tagro, il a donc estimé, qu’il ne fallait pas prendre de risque.

Combien d’argent vous a-t-il donné pour tout ça ?
L’argent n’est pas l’essentiel ; comme je l’ai dit, les écrits n’ont pas commencé pour de l’argent. Les écrits partaient du principe qu’avec l’accord de Ouaga, le Premier ministre Guillaume Soro bénéficiait d’un état de grâce, et que Laurent Gbagbo pouvait lui permettre tout pour cette raison. A ce titre, il devait aller vite à l’identification, au lieu de chercher à résoudre les questions de développement. Quand les Ivoiriens auraient leurs papiers et que l’élection se ferait, le candidat élu construirait alors des écoles, des hôpitaux et des routes. Selon L’Intelligent d’Abidjan, telle n’était pas la vocation de Guillaume Soro, encore moins l’esprit de l’accord de Ouagadougou. L’accord de Ouagadougou n’était pas un accord pour gouverner et développer le pays, mais pour sortir de la crise. Il ne fallait pas le faire durer. D’ailleurs, quand la période de grâce est passée, vous avez bien vu que Laurent Gbagbo a failli remettre en cause, un acquis important de Ouaga : l’enrôlement avec l’extrait de naissance. Alors que Ouaga avait réglé la question de l’enrôlement et de l’identification. Mais le fait de n’avoir pas commencé par cela immédiatement, a fait ressortir les craintes, et retardé tout le processus. Il y a eu la double dissolution, et les élections n’ont pas permis de sortir de la crise, malgré les quatre ans de Ouaga, qui n’ont pas permis de liquider vraiment tous les contentieux et les ressentiments. C’est ce que nous craignions et nous dénoncions ! Nous le faisions pour la Côte d’Ivoire. Pas pour Désiré Tagro, mais il s’est trouvé que le ministre de l’Intérieur partageait cette façon de voir.

Votre journal dénonçait les questions d’identification, parlait des fraudeurs, et voici que vous aussi, êtes épinglé pour faux et usage de faux, est-ce parce que vous gêniez ?
Mais qui est-ce que je gênais par mes révélations ? En tout cas, l’IA défendait la position de Marcoussis et de Ouaga sur l’identification. Donc, il devait y avoir une sorte d’amitié pour les cas éventuels de fraude. Mais patatras, voici que je suis épinglé. L’affaire est encore un peu pendante à la justice. Donc, je ne vais pas y aller dans le fond, même si j’ai tous mes papiers ivoiriens sans problème aujourd’hui.

Quel rôle Désiré Tagro a joué dans vos déboires ?
Jusqu’au bout, Désiré Tagro a essayé d’empêcher qu’on m’arrête. Et au FPI, les anti-Tagro riaient de ce Bété, qui protégeait les étrangers, dont des amis étaient des fils d’étrangers. D’ailleurs, le ministre de l’Intérieur se plaignait du procès qu’on lui faisait toujours au sein du parti, pour avoir signé l’accord de Ouagadougou, alors qu’à l’époque, les FN lui reprochaient également de saboter le même accord. Désiré Tagro était emmerdé de part et d’autre. Donc la pression était forte sur lui contre moi, et il a fini par céder. Durant un mois, j’avais été convoqué à la police judiciaire et même à la gendarmerie. L’enquête suivait son cours sur plainte d’individus anonymes. Suivez mon regard… Les charges n’étant pas suffisantes, je n’avais pas encore été arrêté. Désiré Tagro suivait l’enquête. Il voulait avoir le cœur net sur ce qu’on disait, et laissait donc faire. Pendant ce temps, il continuait à me recevoir souvent. Ne me reprochant rien, et étant en plein dans ma campagne pour l’UNJCI, je n’ai pas voulu embarrasser le ministre de l’Intérieur avec cette histoire que je considérais comme un petit problème. Je partais donc répondre aux convocations de la police, sans mes avocats, et je retournais. Cela s’est passé à plusieurs reprises. Je n’ai même pas dit un mot à Ben Soumahoro, qui pouvait pourtant s’en ouvrir à Laurent Gbagbo pour déplorer et dénoncer les tracasseries dont j’étais l’objet. Et je pense que cela aurait pris vite fin. En fait, moi-même, je voulais que tout soit tiré au clair, pour que je cesse de subir le chantage de certaines personnes. J’étais serein, et je n’ai donc demandé l’aide de personne. On a trouvé que j’étais gonflé, et qu’il fallait me montrer que je ne suis rien. Moi, je ne voulais pas négocier des choses, pour éviter d’être un président faible et redevable à qui que ce soit si j’étais élu à la tête de l’UNJCI. Comme si la police judiciaire et la gendarmerie semblaient avoir peur de prendre le gros morceau que je suis, mon dossier a été transféré aux Renseignements généraux. Il me semble qu’il s’agissait un peu de dessaisir Désiré Tagro, et de faire suivre l’affaire directement par Laurent Gbagbo, dont certains conseillers comme Kadet Bertin et Alcide Djédjé voyaient d’un mauvais œil, ma prétention à diriger l’Unjci. On me soupçonnait de vouloir mettre l’association à la solde d’Alassane Ouattara et du RDR. Ils avaient fait un rapport disant que ma campagne était financée par le RDR. Les RG étaient à mes trousses. Je devais être arrêté un jeudi, puis un vendredi. Mais des interventions multiples y compris celles de Désiré Tagro et plusieurs ministres ont empêché que je sois arrêté le week-end.

Et pourtant c’est dans le bureau de Désiré Tagro que vous avez été arrêté et vous avez parlé d’un guet-apens, l’IA l’a même critiqué, que s’est-il passé ?
Ce lundi-là, à la veille de l’élection de Barack Obama, Désiré Tagro reçoit des pressions, parce qu’il empêche qu’on m’arrête. Le chef de l’Etat lui-même monte au créneau et le met en demeure de me trouver, car Laurent Gbagbo aurait appris que j’ai fui le pays. Le lundi matin, on m’attend à la police ; je refuse d’y aller sachant qu’on voulait m’arrêter. Je me mets en lieu sûr et je demande à mes interlocuteurs de se fatiguer pour me chercher, et me trouver, s’ils veulent me prendre. Le cabinet de Tagro m’appelle en vain. Son entourage me cherche. La République est en branle. Désiré Tagro appelle alors Ben Soumahoro, pour lui dire de me convaincre de venir à son bureau et non à la sûreté. Il lui promet que c’est dans son bureau que mon P.V serait signé, et que je rentrerai ensuite chez moi. Pour rassurer Ben Soumahoro, il lui demande de m’accompagner s’il veut. Avec toutes ces assurances, Ben Soumahoro me demande de sortir de ma cachette. Je me rends au Plateau et je suis introduit aussitôt dans le bureau de Désiré Tagro. Il me dit : mais Alafé, tu veux me créer des problèmes. Ton affaire avec Tapé Koulou (paix à son âme), devient sérieuse. On me menace. Tout le week-end, le chef de l’Etat m’a appelé pour me parler de toi, et a menacé de m’entendre si tu fuis le pays, ou si on ne t’arrête pas. Je ne comprends rien ». Le ministre me demande de ne pas m’inquiéter et qu’il ferait tout pour me protéger, puis appelle le directeur des Renseignements généraux, le commissaire Goulehi, qui attendait à son secrétariat. Au directeur des Renseignements généraux, il dit : « vous lui faites signer son PV et vous m’appelez pour les instructions ». Je dis au ministre, j’espère que ce n’est pas pour m’arrêter. Et Désiré Tagro, me rassure et me dit de ne pas m’inquiéter. En allant à la sûreté, je n’ai pas accès à mon véhicule. Je suis conduit dans une Peugeot 205 banalisée de la police, assis à l’arrière entre le commissaire et un autre élément. On me demande de ne plus téléphoner. On me reprochait de faire trop d’interventions. Donc il fallait m’isoler et mettre fin aux interventions et pressions intempestives, venant de partout. Finalement, je suis arrêté. De la sûreté, je suis conduit à la DST où je passe ma première nuit. Tout le monde connaît la suite.

Cela fait pratiquement trois ans jour pour jour, aujourd’hui. Avez-vous revu après Désiré Tagro et Laurent Gbagbo ?
Je n’avais pas envie de voir Désiré Tagro. A quoi cela sert de fréquenter un ministre de l’Intérieur si cela ne peut pas vous mettre à l’abri de l’injustice et de l’arbitraire ? Si Désiré Tagro n’avait pas fait le choix de sauver son fauteuil, et était resté sur les principes, cette affaire serait-elle arrivée ? Je crois que lui non plus n’avait pas envie de me voir. Mais à deux ou trois reprises, il a rencontré Ben Soumahoro et a demandé après moi. Il a dit qu’il allait trouver un moment pour qu’on règle nos contentieux et pour que les malentendus soient dissipés. Après avoir tout fait pour me protéger, Désiré Tagro a fini par être contaminé par la colère du président Laurent Gbagbo. Il est alors devenu plus royaliste que le roi, et s’est mis à la manœuvre. Refusant d’être dessaisi du dossier, il l’a alors récupéré et géré avec zèle. C’est symptomatique des dérives de la volonté du prince. Quand dans la période, Ben Soumahoro, après avoir parlé avec Simone Gbagbo, est allé voir Désiré Tagro, pour lui reprocher d’avoir abusé de sa confiance en le poussant à me promettre que je ne serai pas arrêté, le ministre de l’Intérieur lui a répondu ceci : «grand frère, tu cherches à rencontrer le président. Si tu le vois, ne lui parle pas d’Alafé. Le président me charge de te dire que cette affaire est bonne pour nous. Quand ça va se calmer, on va trouver une solution, mais ce n’est pas le moment.» Effectivement, la veille, Ben Soumahoro était avec Simone Gbagbo, pendant au moins deux heures. La première dame lui a avoué son impuissance devant la situation; elle a conseillé qu’il parle au président lui-même, tout en ajoutant que ce n’était pas le moment. Pendant qu’il partait de la résidence, Laurent Gbagbo est apparu. Il a été chaleureux comme d’habitude, comme si de rien n’était. Ayant encore en tête, les paroles de Simone Gbagbo, Ben Soumahoro n’a pas voulu aller plus loin, préférant rencontrer le lendemain Désiré Tagro. Pendant ce temps, mon élément filmé n’était pas encore passé à la télévision, et une bataille féroce se passait autour du sort qu’il fallait me réserver. Le jour de mon procès, c’est le procureur Tchimou qui a fait des confidences à Ben Soumahoro. Des magistrats révoltés se battaient pour avoir le dossier, ils étaient prêts à déclarer un non lieu, à me libérer ; mais pour éviter toute surprise, l’affaire avait été ficelée à ce niveau par le parquet. Laurent Gbagbo, je l’ai rencontré en Mai 2009, quelques mois après ma sortie à l’occasion d’une audience accordée au Gepci conduit par le président Denis Kah Zion. Il m’a salué chaleureusement et m’a demandé les nouvelles de l’Université. Pour lui, la Maca, c’était une école de formation, une université. Il a demandé si j’avais pu visiter sa cellule. La page était tournée pour lui.

Mais vous avez quand même revu Désiré Tagro après….
Oui, je l’ai vu lors de la crise de l’école de police. Nous avions une position pro-Koulibaly qui dérangeait certains de ses proches. Qui m’ont contacté et proposé de le rencontrer. Nous étions en Juin 2010. J’ai rencontré un homme angoissé et stressé. Un homme révolté contre Mamadou Koulibaly. Un homme apeuré, qui me reprochait de l’attaquer au profit de Koulibaly, et de vouloir me venger pour ce qui m’est arrivé. Je lui ai dit que je ne fais que mon travail. Il m’a expliqué sa version de l’affaire de l’école de police. Il a dit qu’il en a marre des coups bas du FPI, que son objectif était la victoire de Laurent Gbagbo et qu’après, il demanderait à partir; que Mamadou Koulibaly était un homme léger, qui voulait les faire perdre, qu’il ne reprochait rien en tant que ministre de l’Intérieur ; que malgré les réserves du FPI sur Ouaga, le parti avait fait bloc autour de lui contre Koulibaly. Le ministre Désiré Tagro était dans la paranoïa. Il pensait que j’avais un enregistreur caché. Il a parlé du coup d’un journaliste qui l’avait piégé et avait enregistré ses propos à son insu. Des propos qu’il est allé faire écouter à Mamadou Koulibaly. Il a palpé mes poches, a pris mes portables et les a éteints, tout le temps qu’on a causé. Mais ce qui semblait le déranger, c’était au moment où il me rencontrait, l’absence d’un soutien ferme et radical de Laurent Gbagbo qui était à l’époque au Maroc. Ce soutien viendra au retour du chef de l’Etat, qui tout en ménageant Mamadou Koulibaly, refusera de brûler Désiré Tagro, en confiant l’enquête à Tchimou sur proposition de Désiré Tagro. Cet épisode a été déterminant dans sa loyauté et son appui à Laurent Gbagbo jusqu’au bout. Cette affaire lui avait fait perdre de sa superbe, et le secrétariat général de la présidence après l’élection contestée. C’était sa sortie du système Gbagbo. Mais la crise est intervenue, et elle l’a encore repositionné. Concernant nos rapports personnels, je lui ai rendu gratitude au cours de l’entretien, pour ce qu’il avait fait pour empêcher qu’on m’arrête. Mais j’ai déploré qu’il n’ait pas apporté assistance au pensionnaire de la Maca que j’ai été pendant 45 jours. Il a dit qu’il estimait que ce n’était pas nécessaire, que son devoir était de m’empêcher d’être à la Maca. N’ayant pas réussi cela, c’était, selon lui, hypocrite de m’envoyer des gens et des choses. Quand je partais, il m’a remis une enveloppe de 5 millions de FCFA. Pas pour le défendre dans le journal, mais pour rembourser mes frais d’avocat. En matière d’argent, il tenait souvent ses engagements. Il disait en avoir assez pour les siens. Mais affirmait ne pas être hyper riche. Il refusait de prendre des engagements qu’il ne pouvait pas tenir. Par la suite, il n’a pas souhaité me rencontrer à nouveau, car des gens autour de lui, ne souhaitaient pas ce retour en force. Je suis donc resté dans mon coin, sans contact avec lui, jusqu’à l’élection, et tout le temps que la crise a duré.

Que retenez-vous de l’homme ?
Laurent Gbagbo l’aimait bien. C’était un homme direct et entier. Un grand bosseur, qui a mal pris pendant longtemps les mauvais rapports qu’il avait avec le Premier ministre Guillaume Soro. Il était souvent inaccessible, et aimait jouer les mystérieux, les policiers. Il disait à Laurent Gbagbo des choses que les autres ne pouvaient pas lui dire. Laurent Gbagbo aimait bien cet homme de vérité et de loyauté. Mais Laurent Gbagbo était le seul et vrai chef du système. Ceux qui paraissaient forts, comme Blé Goudé, Simone Gbagbo, Alcide Djédjé ou même Désiré Tagro, ne l’étaient que par la volonté du chef et avec son accord. Laurent Gbagbo savait dire non, et était intuitif. Dans la crise entre Soro et Tagro, Laurent Gbagbo a senti qu’il fallait continuer malgré tout avec Soro Guillaume contre les mises en garde de Tagro. Il n’avait pas d’autre choix, selon lui. Désiré Tagro s’est alors rangé à la vision de Laurent Gbagbo, alors qu’il avait un plan B, qui consistait à aller plaider la paix avec la France, en éjectant Guillaume Soro. Désiré Tagro proposait à Laurent Gbagbo de faire par le biais de (encore lui), Compaoré la paix avec Sarkozy et la France, en sacrifiant Guillaume Soro et en proposant au RHDP de trouver un Premier ministre RHDP. Mais il n’a pas pu emballer Laurent Gbagbo avec cette idée, qui ne voulait pas apparaître comme un irresponsable, après avoir entraîné contre le gré de bien de gens, et même de son camp ; l’ancien chef de l’Etat ne voulait plus d’aventure. Par exemple, dans l’affaire de la double dissolution, Laurent Gbagbo a mis Désiré Tagro devant le fait accompli. Un jour pour montrer le zèle des autres autour de Laurent Gbagbo, Désiré Tagro m’a raconté l’anecdote suivante : « on était en réunion et Laurent Gbagbo parlait. Je l’ai alors arrêté. Sokoury Bohui a réagi aussitôt pour déplorer que je coupe le chef de l’Etat, et pose des préalables. Selon lui, quand le chef de l’Etat parle, on ne doit pas le couper. Mais le président m’a autorisé à parler. J’ai dit que c’est Laurent Gbagbo, qui nous a appris qu’il faut un ordre du jour, et un PV pour toute réunion. Là nous n’avons ni ordre du jour, ni un rapporteur. Le président a apprécié, et un ordre du jour a été donné, un rapporteur a été désigné». Voilà Tagro ! Un homme entier, vrai et direct ! En fait, il rappelait à Laurent Gbagbo, feu Boga Doudou. Savez-vous que plusieurs observateurs estiment que si Maître Boga Doudou n’avait pas été tué, les tergiversations du camp Gbagbo entre Marcoussis, ou non et tout le reste jusqu’à Ouaga, n’auraient pas eu lieu ; et qu’une solution plus rapide à la crise aurait été trouvée. Moi, j’ai réglé mon problème personnel avec Désiré Tagro. Je pense qu’il n’a pas eu une bonne et juste mort. S’il était en vie, il aurait pu donner mauvaise conscience à tant d’acteurs du processus actuel. Mais qui sait : peut-être, sa connaissance profonde du processus aurait pu aider à faire avancer la réconciliation. Je crois que s’il n’avait pas été dans le bunker, et que s’il avait pu douter un seul instant de la victoire de Laurent Gbagbo, il aurait pu éviter qu’on arrive à la débâcle du 11 Avril 2011. Désiré Tagro n’a pas voulu être Boga Doudou jusqu’au bout ! L’homme qui dit à Laurent Gbagbo, que tel choix n’est pas le meilleur. Mais Allah sait ce qu’Il fait ! Je prie pour qu’il repose en paix.

Interview réalisée par Ismaël Dembélé et Joël T