mercredi 22 juin 2011

Front populaire ivoirien / Koulibaly Mamadou veut effacer les traces de Gbagbo : « Il faut changer le nom du parti »

Et revoilà Koulibaly Mamadou…l’iconoclaste, président par intérim du Front populaire ivoirien (Fpi), ex-parti au pouvoir ( octobre 2000- avril 2011). Il vient de remettre le couvert de ses sorties fracassantes contre sa propre famille politique. Il travaille à « désinfecter » le parti des idées que son fondateur lui a imprimées, depuis sa création en 1988 dans un village du département de Dabou. Après son interview, Cf Jeune Afrique N° 2630, du 5 juin 2011, qui a pris à rebrousse-poil tous les « camarades », et qui continue de faire des vagues dans les rangs des militants de l’ex-parti au pouvoir, Koulibaly Mamadou s’attaque maintenant à ce que le parti de Laurent Gbagbo a de fondamental. Son identité et sa doctrine. Se confiant à l’hebdomadaire panafricain où il avait, une semaine plus tôt, dénoncé « les dérives » de son parti liées, entre autres « au clientélisme, à la corruption et au népotisme », l’agrégé des sciences économiques revient à la charge, dans un entre-filet publié cette semaine par le même organe, dans la rubrique « Confidentiel », J.A N° 2632 du 19 au 25 juin 2011. Sur la question, du reste, opportune, de la création de son propre parti, Koulibaly Mamadou lance qu’il n’a pas les moyens nécessaires de le faire. « Je n’ai pas d’argent pour le faire », affirme-t-il. A-t-on forcément besoin des milliards pour créer un parti politique ? S’interroge un observateur. Un parti n’est-il pas d’abord, des hommes, des idées, des textes, un leader pour incarner l’idéologie et une ambition pour ce leader de servir son pays et ses concitoyens au plus haut niveau de l’Etat ? On est donc tenté de croire que le professeur Koulibaly Mamadou dont le « socialisme » est sujet à caution, ne va franchir, d’ici peu, le rubicon, en créant son propre parti, aux couleurs « du libéralisme », comme le Rassemblement des Républicains ( Rdr), du président Alassane Ouattara. « J’ai simplement dit à Miaka Oureto, le secrétaire général du parti, que si les cadres du Fpi souhaitent continuer comme avant, j’arrêterai la politique pour me consacrer à l’enseignement et à la recherche. Mais que, s’ils souhaitent faire évoluer le parti, je suis prêt à les aider. Il faut moderniser nos structures, changer de nom et repenser notre idéologie », soutient Koulibaly Mamadou. Il réclame donc, la « refondation » totale et une mise à plat sans complaisance des structures du parti. Il veut, pour ainsi dire, refaçonner le parti à son image, et, pourquoi pas, à sa taille. Un réformisme qui aura du mal à passer au Fpi. Une approche qui a amené le confrère ( J.A) à se poser une question sur les intentions réelles du président de l’Assemblée nationale et à ouvrir cette brèche : « Et si Koulibaly arrêtait tout » ? Pour sa part, Lazare Koffi Koffi, ancien ministre de l’Environnement et des Eaux et Forêts, dans le gouvernement Aké N’Gbo, dans une interview qu’il nous a accordée ( Cf Soir-Info du 5027 du mardi 21 juin 2011), indique la porte de sortie à Koulibaly Mamadou. « C’est son droit et il ne sera pas le premier. Seulement, s’il veut partir, qu’il le fasse dans l’élégance et non donner l’impression qu’il a eu mission de mains noires de « tuer » le Fpi. Il ne réussira pas. Il ne faut pas qu’il donne de lui, dans l’opinion l’image d’un homme inconstant qui a abandonné ses camarades et surtout Gbagbo et Simone qui l’ont fait, dans les geôles de Ouattara dont il est devenu l’admirateur attitré. S’il part, il ne nous reste qu’à lui souhaiter bonne chance. En toute camaraderie », a déclaré le ministre Koffi Koffi Lazare.. Pour effacer les traces de Laurent Gbagbo à la tête du Front populaire ivoirien ou alors créer son propre parti, Koulibaly Mamadou ne tiendra pas un discours qui se détache de ce qu’il vient de dire à J.A.

mardi 21 juin 2011

Ironie du sort : 11 avril 1990 : naissance du FPI 11 avril 2011 : chute de Laurent Gbagbo

Comment l’ex-dictateur s’est attiré la malédiction
“Bori-bana’’ pour le Front populaire ivoirien!
Décidément, la date du 11 avril était la mieux indiquée pour donner naissance au Front populaire ivoirien, le parti qui a mis la Côte d’Ivoire à feu et à sang pendant 20 ans. Le Fpi est né un 11 avril. Son leader devenu Président par effraction et qui voulait s’éterniser au pouvoir a été capturé et mis en résidence surveillée dans la région des Savanes, à Korhogo. Une malheureuse coïncidence, fruit du parcours tumultueux et forcé de l’ex-chef de l’Etat.

Lundi 11 avril 2011. Le FPI n’aura pas eu le temps de se rappeler son anniversaire, à fortiori, le célébrer. Ce jour-là, à 12h, son ancien leader, Laurent Gbagbo, qui s’adonnait au dangereux jeu de la dictature est capturé dans son bunker où il s’était retranché depuis des jours avec les membres de sa famille et certains proches collaborateurs du Palais. L’homme qui, quelques semaines plus tôt, déclarait à son adversaire Alassane Ouattara qu’il enjamberait son corps avant d’arriver au Palais, se rendra compte qu’il n’est pas immortel comme le lui faisaient croire des faux prophètes attirés par ses 80 milliards de fonds de souveraineté. ‘’Ne me tuez pas ‘’, lâchera-t-il, en voyant la mort l’approcher au galop. Cette fin humiliante pour un homme qui a pourtant forcé admiration dans sa lutte pour le multipartisme et la démocratie en Côte d’Ivoire n’est pas fortuite. ‘’Elle est même méritée’’, avancent même certains observateurs attentifs de la scène politique ivoirienne. Plus qu’une simple coïncidence, la chute de Gbagbo un 11 avril est symbolique d’un parcours mal agencé, un destin forcé qui a fait finalement plus de tort que de bien comme annoncé dans la propagande.
Début avril 1990. Le vent de l’Est européen souffle à grande vitesse après la chute du mur de Berlin. Laurent Gbagbo et ses disciples en profite pour introduire une panoplie de revendications à un Houphouët-Boigny déjà affaibli par le poids des ans mais aussi par la gigantesque œuvre de construction nationale. La revendication vire à la contestation et l’occupation violente de la rue. L’école est prise en otage à travers la Fesci sur toute l’étendue du territoire ivoirien. Un flux d’injures, même les plus grossières, s’abat sur le Bélier de Yamoussoukro. Le régime et une partie du peuple sont médusés. Quand, courant avril, Kpéa Domi, élève en classe de 1ère, et un gendarme sont tués à Adzopé, au cours d’une manifestation orchestrée par la nouvelle race de politiciens, le Sage d’Afrique accède aux exigences de Laurent Gbagbo, pour éviter que le sang coule davantage. Il autorise le retour au multipartisme le 30 avril. De là, les choses vont s’accélérer. Le mouvement déclenché dans les cités universitaires et dont le prétexte était la coupure d’électricité conduira Gbagbo à la course présidentielle pour le compte du FPI. Mais, bien qu’Houphouët soit déjà épuisé, il n’arrivera pas à sa cheville à l’issue de la présidentielle du 22 octobre 1990. Où il n’a recolté que 18% après avoir dribblé ses camarades socialistes pour se présenter seul face à Houphouët. Battu mais pas découragés, Laurent Gbagbo et sa bande de refondateurs maintiennent la pression sur le vieux qui appelle le Dr Alassane Ouattara à la rescousse pour juguler le front social dont les ficelles sont tirées par l’opposition. En 1992, prétextant de ce que la commission d’enquête sur la descente militaire sur la cité U de Yop en 91 tardait à publier les résultats de ses investigations, le FPI programme un ‘’assaut final’’ pour exiger la publication desdits résultats. Le Premier ministre d’alors, Alassane Ouattatara, et son gouvernement, auront tout tenté pour les en dissuader, mais Dacoury-Tabley, le concepteur en chef du projet est trop jusqu’au-boutiste pour y renoncer.
Ainsi, le 12 février de la même année, c’est presque l’apocalypse sur Abidjan. Plateau, le quartier des affaires et de la haute administration est sous les flammes et les casses. Des dizaines d’autobus et de véhicules particuliers sont incendiés. Cela vaut un séjour à la Maison d’Arrêt et de correction d’Abidjan(MACA) au Woody de Mama et compagnons dont sa femme Ehivet Simone et son fils, Michel Gbagbo. Sortis de là grâce au pardon d’Houphouët Boigny, il va remettre le couvert.
Octobre 1995. Henri Konan Bédié qui achevait le mandat du défunt Président Houphouët-Boigny, remet son fauteuil en jeu. C’est la présidentielle. Mais conscient de ses faiblesses face au PDCI-RDA, Gbagbo et ses hommes font une fuite en avant en se réfugiant derrière la dénonciation de certaines dispositions de la lois électorales qui ne le concernaient même pas. Il parvient à emballer le RDR dans la chienlit qu’il crée à travers le concept guerrier de boycott actif. La stratégie, empêcher, par tous les moyens, l’élection présidentielle et plonger le pays dans une situation chaotique. Le sang a encore coulé. Des morts, des blessés et des disparus sont, hélas, enregistrés à cause de l’entêtement et la soif de pouvoir d’un homme. Mais, grâce à la vigilance du Président Bédié, la Côte d’Ivoire échappe de peu au pire.
24 décembre 1999, la Côte d’Ivoire enregistre son premier coup d’Etat militaire. Laurent Gbagbo, bien au fait de ce putsch militaire, avait pris soin de se mettre à l’abri à Libreville au Gabon, pour rentrer le moment opportun. Ses premières déclarations confirmeront ensuite qu’il cautionnait cette mauvaise forme d’accession au trône. ‘’C’est un leader politique heureux qui retrouve son pays. Quelques fois, il y a des coups d’Etat salutaires’’, avait-il déclaré à sa descente d’avion à l’aéroport de Bouaké, sur RFI. Avant de se rendre chez Bongo, il avait menacé Bédié en des termes très clairs : ‘’Si tu ne veux pas de Laurent Gbagbo, tu auras Laurent Kabila’’, a-t-il averti, allusion faite à la révolution militaire du rebelle Désiré Kabila contre Mobutu au Zaïre. Le rêve de voir le PDCI hors s’étant réalisé, le pâtissier de Ouragahio peut mettre maintenant son plan machiavélique à exécution. Pour la première fois, son parti, le FPI, accepte d’entrer dans un gouvernement. Et quel gouvernement ! Lui qui a toujours décliné l’offre des pouvoirs démocratiques et légitimes, a étonné le monde en revendiquant, avec force, des postes ministériels, au Général Robert Guéi. ‘’Si c’est un gouvernement RDR, dites-nous, nous allons nous retirer’’, avait maladroitement réclamé ‘’l’enfant des élections’’. La suite, on la connaît. Gbagbo a réussi à emballer le chef de la junte militaire au pouvoir au point de la pousser à écarter tous les autres candidats à la présidentielle, y compris le Dr Alassane Ouattara. Dans la grisaille de sa course effrénée au trône, il parvient également à isoler le Général en installant la division entre lui et ses soldats les plus intrépides. L’objectif étant de lui arracher le pouvoir et l’assassiner ensuite. Les deux coups, il les a réussis également.
Le 23 octobre 2000
A son actif aussi, le premier charnier de l’histoire politique de la Côte d’Ivoire, enregistrée le 26 octobre 2000 et dont les victimes sont, pour la plupart, des militants du Rassemblement des Républicains(RDR).
Laurent Gbagbo est désormais au pouvoir, par césarienne, dans des conditions qu’il a lui-même qualifiées de calamiteuses le 26 octobre lors de sa prestation de serment. C’est le début du cauchemar pour la belle Côte d’Ivoire. Plutôt que de s’attaquer aux problèmes des Ivoiriens et y trouver des solutions idoines, il préfère se livrer à des inventions de complots avec son stratège de Lida Kouassi, ministre de ‘’sa Défense’’ et feu Boga Doudou, ministre de l’Intérieur. En réaction aux rumeurs de déstabilisations aux frontières ivoiriennes, le premier déclarait que ‘’nous sommes prêts aujourd’hui et demain. Celui qui nous attaque verra notre puissance’’ quand le second affirmait qu’il suivait minutieusement les faits te gestes des soldats exilés au Burkina Faso. Là aussi, on connaît la suite. Gbagbo et ses hommes qui voulaient certainement s’essayer à la guerre n’ont rien fait pour éviter la crise militaro-politique du 19 septembre 2002. En réalité, ils entendaient profiter des premières heures d’une éventuelle crise pour liquider tous les opposants les plus coriaces, à savoir Bédié, Alassane et Guéi. Si les présidents du PDCI et celui du RDR ont eu la vie sauve, le Général Guéi, lui, a fait les frais de l’ingratitude de ‘’son beau-frère’’ Gbagbo. Accusant l’ex-chef de l’Etat d’être de connivence avec ceux qui ont attaqué cette nuit du mercredi 18 au jeudi 19 septembre, le Général sera arrêté à la Cathédrale Saint Paul d’Abidjan puis exécuté avec 17 autres membres de sa famille, avec la caution de Monseigneur Bernard Agré en visite avec son protégé, Gbagbo en Italie. Ce crime doublé du viol d’un bâtiment hautement religieux déclaré de surcroit bâtiment diplomatique, a amplifié la charge de péchés du refondateur en chef. En fait, dans l’entourage de Gbagbo et à en croire certains mystiques, l’ex-chef de l’Etat avait lié un pacte de sang dans des confréries ou des sectes spécialisées en la matière, tant en Côte d’Ivoire qu’ailleurs dans le monde. D’où la nécessité constante pour lui de voir le sang verser sur le sol ivoirien. C’est pourquoi, de retour d’Italie après le déclenchement de la crise, il a déclaré la guerre là où la sagesse et le moindre bon sens auraient recommandé de tendre la main. Là également, on connaît la suite. Des milliers de morts, de blessés, de disparus, de déplacés et de réfugiés. Et pendant 10 ans, le pays est resté otage d’une politique hasardeuse, pécheresse, inconséquente, belliqueuse,… qui l’a balafré et isolé. Tout le monde est devenu l’ennemi de la Côte d’Ivoire. Gbagbo croyait tout réussir avec ses vieilles armes qu’il a achetées à d’autres puissances impérialistes avec l’argent du contribuable ivoirien. En lieu et place du programme de rêve de la refondation, ce sont les armes qu’il a servies aux étudiants, des mercenaires libériens qu’il a recrutés, des miliciens qu’il a dressés contre d’autres citoyens pour confisquer le pouvoir. Il voulait coûte que coûte le pouvoir. Il l’a eu. Pour tuer et conduire son peuple en enfer. A travers les déchets toxiques, les massacres des militants d’opposition. Il a englouti le fruit de la souffrance des paysans dans l’achat d’une usine fictive de chocolaterie aux USA. Il a mis l’école dans un état piteux, plus de routes, les hôpitaux sont devenus des mouroirs, la défiance s’est érigée en mode de gouvernance au point que des étudiants ont porté main à leurs professeurs, des magistrats ont été bastonnés, des subalternes ont osé lever la main sur leur ministre de tutelle. Tout cela promu par la RTI devenue une télé démentielle qui a contribué fortement à la crise meurtrière que vient de traverser la Côte d’Ivoire. Le chapelet des péchés du FPI et son chef est aussi long que Paris-Dakar. Laurent Gbagbo, le christ de Mama, devenu le Satan du Palais, ne pouvait que terminer de la sorte. Dieu a endurci son cœur pour le descendre en pleine journée, sous les caméras, le lundi 11 avril 2011. Et pourtant Guéi l’avait prévenu en 2002. Loin d’être considérée comme une simple déconvenue, la chute du FPI qui coïncide avec la date de sa naissance signifie clairement que ce parti est enterré à jamais et que toute tentative de reconstitution est vouée d’avance à l’échec. Les militants bleus doivent le savoir et songer à changer de nom. Juste une question de lecture…politico-mystique !

lundi 20 juin 2011

Cheikh Hamidou Kane: «Je suis énormément déçu par Laurent Gbagbo»

Auteur de «L’aventure ambigüe», l'écrivain et ancien ministre sénégalais analyse pour SlateAfrique la politique africaine et la situation en Côte d’Ivoire.

Cheikh Hamidou Kane au festival Etonnants voyageurs © Sabine Cessou, tous droits réservés.
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Cheikh Hamidou Kane, 83 ans, n’est pas vraiment à la retraite. Cet écrivain, occupé depuis plusieurs années à la rédaction de ses mémoires, a participé du 11 au 13 juin 2011 au festival Etonnants voyageurs à Saint-Malo (France). Plusieurs générations d’écoliers d’Afrique francophone ont étudié son premier roman, L’aventure ambigüe (Julliard, 1961), un grand classique qui a posé une question restée centrale après les indépendances: l’acculturation et la perte de soi-même éprouvée par les Africains au contact avec l’Occident.
Cheikh Hamidou Kane est revenu à Saint-Malo sur son oeuvre, qui se résume à deux romans, L’aventure ambigüe et sa suite, Les gardiens du temple (Stock, 1995).
Il a aussi évoqué ses activités politiques du moment: il est en effet impliqué dans les assises nationales au Sénégal. Un vaste rassemblement de la société civile et de partis politiques présidé par Amadou Makhtar Mbow, ex-directeur général de l’Unesco, et auquel le camp du président Abdoulaye Wade a refusé de participer. Cheikh Hamidou Kane, lui, s’y trouve en tant qu’ancien ministre et «ancien» tout court, figure respectée et voix critique.
L’écrivain a aussi été, tout au long de sa vie, un homme de responsabilités et d’action, successivement gouverneur de Thiès (1960-62), premier conseiller à l’ambassade du Sénégal au Libéria (1963), vice-directeur du bureau régional de l’Unicef à Lagos, au Nigeria (1963-1967), sous-directeur du Centre de recherches pour le développement international (CRDI, coopération canadienne, 1974-1976) à Ottawa, ministre du Développement industriel et de l’artisanat sous Senghor (1978-1981), puis ministre du Plan et de la Coopération (1981-1988) sous Abdou Diouf.
D’origine peule, ce nomade des temps modernes est revenu pour SlateAfrique sur un sujet qui le passionne: la crise postélectorale en Côte d’Ivoire, un pays qu’il connaît bien pour y avoir vécu de 1967 à 1974, au temps de Félix Houphouët-Boigny, dans le cadre de ses fonctions de directeur du bureau régional de l’Unicef.
SlateAfrique - Compte tenu de ce qui s’est passé en Guinée, en Côte d’Ivoire et de ce qui risque de se passer en République démocratique du Congo (RDC), peut-on considérer que les élections sont toujours la panacée en Afrique?
Cheikh Hamidou Kane - Les élections représentent bien la solution. Les bailleurs de fonds et les nations occidentales ont raison d’exiger des élections des leaders africains actuels, qui se réclament de la démocratie mais trichent avec ces réalités. Le tout n’est pas de dire qu’on est démocrate. La démocratie suppose l’existence de contre-pouvoirs, dont bien des leaders politiques africains ne veulent pas.
Les populations sont parfaitement mûres. En Côte d’Ivoire, 54% des gens se sont prononcés pour un candidat qui n’était pas Laurent Gbagbo, malgré sa présence au pouvoir pendant dix ans et l’instrumentalisation des différences ethniques et religieuses. La même chose s’est passée en Guinée. Les peuples sont prêts à pratiquer la démocratie et leur aspiration va aller crescendo. Le printemps arabe a montré comment des jeunes ont imposé la révolution. Des jeunes qui ont vécu sous des régimes plus dictatoriaux qu’en Afrique noire.
SlateAfrique - Va-t-il y avoir un effet de contagion?
C. H. K. - Non, mais un effet qui procède d’un mouvement démographique. Dans tous ces pays, en Afrique noire plus encore que dans les pays arabes, les jeunes sont devenus les plus nombreux. Dans quelques temps, la jeunesse africaine sera la plus nombreuse du monde. Il faudra qu’on règle ses problèmes, qu’on l’éduque, qu’on la soigne, qu’on lui trouve du travail. On ne peut plus les laisser ces jeunes errer de ville en ville, errer de continent en continent, aborder les frontières de l’Europe et se faire refouler. Cela ne peut plus continuer.
SlateAfrique - Aurait-il fallu faire une transition plus longue en Guinée et laisser à la société plus de temps pour se réformer, créer des partis politiques dotés de véritables programmes?
C. H. K. - Encore une fois, les peuples sont prêts et comprennent ce qu’est l’alternance politique. Ce sont les leaders politiques modernes qui trichent. Ils trichent avec la règle démocratique qu’ils ont apprise en Occident, mais qu’ils n’utilisent que dans la mesure où elle les arrange, sans les contre-pouvoirs qui font toute la valeur de la démocratie. Les pouvoirs exécutif, parlementaire et judiciaire sont tous repris chez nous dans les mêmes mains présidentielles. Cela ne peut plus durer.
Les peuples n’ont pas besoin qu’on leur fasse des dessins. Je trouve tout à fait valable cette ingérence des pays du Nord et des Nations unies dans les processus électoraux de nos pays. Je ne suis pas de ces intellectuels qui disent que c’est une nouvelle domination de l’Occident sur les anciennes colonies. Ce n’est pas vrai. J’applaudis des deux mains à ce devoir d’ingérence et aux contrôles qui sont faits. Les gens qui n’en veulent pas, ce sont des tricheurs! Laurent Gbagbo avait donné son accord pour faire des élections avec l’aide des Nations unies. Au dernier moment, il n’a pas voulu en accepter les résultats.
SlateAfrique - Avez-vous été déçu par Laurent Gbagbo?
C. H. K. - Doublement déçu, parce que Gbagbo n’est pas un président comme les autres. Cet ancien professeur d’université appartient à l’élite intellectuelle. Avant d’accéder au pouvoir, il était pour l’unité africaine, les Etats-Unis d’Afrique et la démocratie. Il a suffi qu’il soit élu pour tourner le dos à tous ces idéaux, pratiquer une politique différente et s’accrocher au pouvoir.
Après deux mandats, dont le deuxième était confisqué, il a voulu rester à la tête du pays, au risque d’entraîner une guerre civile en Côte d’Ivoire. Il a contraint les Africains à avoir recours à l’armée française pour arbitrer le jeu. Cela, de la part d’un intellectuel comme lui, qui prétend être nationaliste…
SlateAfrique - Est-ce impardonnable?
C. H. K. - C’est impardonnable d’avoir triché au point d’avoir obligé les Nations unies et la France à intervenir!
SlateAfrique - Qu’avez-vous pensé de ces tentatives de médiations africaines qui ont toutes échoué en Côte d’Ivoire?
C. H. K. - Elles ont montré l’inefficacité des structures politiques africaines. C’est un échec de l’Union africaine (UA), dans une certaine mesure, malgré la place importante qu’ont joué des organisations sous-régionales comme la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) et l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uémoa).
SlateAfrique - Qu’avez-vous pensé de l’intervention militaire française pour arrêter Laurent Gbagbo?
C. H. K. - Elle était nécessaire dans la mesure où, pendant les dix ans où Laurent Gbagbo a exercé le pouvoir, il n’a pas cessé de détourner les ressources budgétaires et le produit de la vente du café et du cacao pour acheter des armes lourdes. Il a armé des milices, en infraction avec les accords de paix qui avaient été signés. De l’autre côté, au Nord, les gens se sont aussi armés, avec moins d’armes lourdes cependant.
Si on avait laissé Gbagbo faire, non seulement il aurait contesté les résultats qui lui étaient défavorables, mais il aurait aussi massacré les populations. Il a bien fallu faire intervenir des armées qui avaient les moyens de détruire les armes lourdes aux mains du régime de Laurent Gbagbo. Les Nations unies et la France ont eu tout à fait le droit d’intervenir pour empêcher un génocide. Je regrette que ce soit dû à l’obstination de Gbagbo à pousser la tricherie jusqu’au bout.
SlateAfrique - La crise ivoirienne n’est-elle pas imputable à feu Félix Houphouët-Boigny, qui a laissé pousser les graines de la discorde et n’a pas bien réglé la question de sa succession?
C. H. K. - Au moment où les Français étaient contraints de donner la liberté et l’indépendance en Afrique, Félix Houphouët-Boigny a été le porte-parole de ceux qui ont voulu qu’on ne donne pas l’indépendance à deux fédérations regroupant plusieurs pays de l’Afrique occidentale et équatoriale…
Senghor [le premier président du Sénégal, ndlr] avait milité pour cette solution, mais Houphouët-Boigny —trompé en cela par le colonisateur français, qui voulait partir sans partir— a préconisé l’indépendance pays par pays. Il a dit à l’époque qu’il n’y avait pas de raison que la Côte d’Ivoire soit «la vache à lait de l’Afrique occidentale française».
Pourtant, la Côte d’Ivoire a été découpée par le colonisateur français et se trouve faite de morceaux de territoires pris à gauche et à droite. Il est injuste de dire que la Côte d’Ivoire est la propriété des gens du Sud. Si elle devenue riche comme elle l’est, c’est parce qu’elle a fait venir des populations du Nord pour travailler dans les plantations de café et de cacao. Depuis qu’elle existe, elle s’est faite ainsi. Houphouët est à l’origine de la marche solitaire de la Côte d’Ivoire par rapport aux autres pays…
SlateAfrique - Est-il aussi responsable de la marginalisation politique des populations du Nord?
C. H. K. - Il a créé un parti politique fédéral, le RDA, où des gens du Nord ont joué un rôle important. Ce parti existait aussi au Soudan français (l’actuel Mali), en Guinée et jusqu’au Tchad. Je ne comprends pas que ce dirigeant, qui a construit sa notoriété et sa force politique sur une dimension fédérale, se soit ensuite retranché dans les frontières de la Côte d’Ivoire. L’ivoirité, ce n’est pas viable. La Côte d’Ivoire ne peut jouer son rôle que si elle s’entend avec les populations et les pays voisins. Au sein de l’Uémoa, la Côte d’Ivoire a une place prépondérante, mais ce n’est possible que s’il y a une économie intégrée...
SlateAfrique - N’est-ce pas ironique, d’avoir une crise de cette ampleur, l’année du cinquantenaire des indépendances?
C. H. K. - Cette indépendance ne sera complète que lorsque les Africains auront créé un pouvoir politique fédéral ou confédéral…
SlateAfrique - Vous y croyez vraiment?
C. H. K. - J’y crois! La Cédéao est une étape sur ce chemin. Si cet ensemble avait été doté d’une monnaie et d'une armée, elle aurait pu intervenir en Côte d’Ivoire. Il vaut mieux former les contingents de la Brigade de surveillance du cessez-le-feu de la Cédéao (Ecomog), qui existent déjà, pour intervenir dans les conflits internes au continent africain et aider à le protéger des incursions terroristes de tout bord, notamment ceux dans le Sahara. Il faut donner une force militaire importante, des outils, des armes et leur permettre de se poser en arbitre.
SlateAfrique - Ne faudrait-il pas commencer par dépasser 54 nationalismes, avant de créer cette fédération?
C. H. K. - Faire les Etats-Unis d’Afrique ne signifie pas dépouiller les pays actuels de tout pouvoir: comme les Etats américains fédérés, qui ont des gouverneurs, des parlements, ils peuvent garder certains pouvoirs. Comme l’ont fait les Américains et les Européens, il faut s’unir pour faire le poids dans le monde contemporain. On peut garder les 54 Etats mais conserver au-dessus un gouvernement fédéral qui disposerait d’un pouvoir politique, économique et judiciaire, pour être l’interlocuteur unique de notre continent.
SlateAfrique - N’est-ce pas le vieux rêve de votre génération, qui a vu naître l’OUA, l'ex-Union africaine, en 1963, dans la foulée des indépendances?
C. H. K. - L’évolution du monde, la place de plus en plus importante des jeunes va obliger les Etats africains à s’organiser de manière à pouvoir instruire, nourrir et donner du travail à la jeunesse. On ne peut pas le faire avec les 54 petits Etats de l’Afrique d’aujourd’hui, mais seulement si les ressources du continent sont gérées par une instance fédérale. Dans l’état actuel des choses, quel poids voulez-vous que le gouvernement du Tchad ait vis-à-vis d’Areva ou celui du Gabon vis-à-vis d’une multinationale comme Total?
SlateAfrique - Cela permettrait-il de décoloniser encore plus, en créant des ponts entre l’Afrique francophone et anglophone?
C. H. K - La Cédéao est la première autorité à regrouper d’anciennes colonies françaises, portugaises et britanniques. J’aime à rappeler une définition de l’historien burkinabè Joseph Ki-Zerbo (1922-2006). L’histoire de l’Afrique, depuis la rencontre avec les Occidentaux et le prévèlement de bois d’ébène sur les côtes africaines, est marquée par trois grandes dépossessions: celle de son initiative politique, de son identité endogène et de son espace.
Sur le plan politique, l’arrivée des explorateurs occidentaux a coïncidé avec la disparition des rois, des empereurs qui étaient là avant la colonisation. Sur le plan de l’identité, nous avons renoncé à nos langues et à nos lois, comme si nous ne nous étions pas gouvernés jusque-là. Sur le plan spatial, les 54 Etats actuels n’ont aucune relation avec l’espace géopolitique qui existait avant.
La renaissance de l’Afrique passe par la fin de ces trois dépossessions. Il faut créer un pouvoir continental africain et enseigner dans nos écoles nos langues et notre histoire —et non celles de l’Europe.

Propos recueillis par Sabine Cessou