mardi 6 décembre 2011

Côte d'Ivoire : Ouattara et Soro, partenaires particuliers

 
Le Président  ivoirien Alassane Ouattara (à g.) et son Premier ministre Guillaume Soro.Le Président ivoirien Alassane Ouattara (à g.) et son Premier ministre Guillaume Soro.© Issouf Sanogo/AFP
 
L’un joue au mentor, l’autre à l’élève appliqué… Rien ne les prédestinait à s’entendre, mais Alassane Ouattara, le chef de l’État ivoirien, et son Premier ministre, Guillaume Soro, ont fini par s’habituer l’un à l‘autre. Question d’intérêts bien compris.
Alassane Ouattara et Guillaume Soro. En Côte d’Ivoire, le chef de l’État ivoirien et le Premier ministre n’en finissent plus de se congratuler. Le 10 octobre, le second remerciait chaleureusement le premier pour « son précieux soutien » – c’était lors de l’ouverture d’un séminaire-bilan des cent premiers jours du gouvernement. Le lendemain, le président de la République félicitait son Premier ministre pour « la conduite rigoureuse des travaux ». Auparavant, il avait déjà loué la loyauté et l’implication d’un Guillaume Soro qui, depuis sa nomination, joue les élèves modèles et disciplinés. En public, depuis six mois qu'ils travaillent officiellement ensemble, les deux hommes affichent une cohésion sans faille et tiennent le même langage : travail, reconstruction, réconciliation.
Trop beau pour être vrai ? « Ce n’était pas gagné d’avance, mais ils forment un bon attelage, affirme un ministre qui souhaite garder l’anonymat. Soro apprend vite et il a parfaitement intégré la méthode Ouattara. Comme lui, il se montre disponible, très pragmatique, et va à l’essentiel. »
Au quotidien, la répartition des tâches est bien établie. Le chef de l’État se consacre à l’économie et à la diplomatie, tandis que le chef du gouvernement planche sur les questions de défense et de sécurité. Chaque semaine, le rituel est immuable. Le mercredi, c’est Guillaume Soro qui anime un Conseil de gouvernement. Le lendemain, Ouattara reprend la main et dirige le Conseil des ministres. Sur le terrain, les progrès sont visibles : l’activité économique a repris, l’administration s’est remise au travail, et la sécurité progresse, même si l’on déplore encore de nombreux débordements du côté des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI).
Petites mises au point
Officiellement, donc, pas un nuage dans la relation entre Ouattara et Soro. Mais cela n’exclut pas les affrontements à fleurets mouchetés, et les mises au point se font parfois par l’entremise des journaux acquis à la cause de l’un ou de l’autre (Le Patriote pour le président et Nord-Sud pour le Premier ministre).
Guillaume Soro sait qu'il lui faut ménager les anciens comzones, qui l'ont aidé à porter Ouattara au pouvoir. De g. à dr. : Issiaka Ouattara, dit "Wattao", Zakaria Koné, Chérif Ousmane et Hervé Touré, dit "Vetcho". (Crédit : Sia Kambou/AFP)
Impatient d’imposer le retour de l’État de droit et la fin de l’économie parallèle dans le nord de la Côte d’Ivoire, le chef de l’État s’inquiète du comportement des anciens comzones, qui ont longtemps accompagné Guillaume Soro, et de l’affairisme de certains membres du gouvernement. En fin politique, le Premier ministre sait qu’il doit malgré tout ménager ses anciens compagnons qui répètent à l’envi que ce sont eux qui « ont porté Ouattara au pouvoir ». Il ne souhaite pas non plus que l’on empiète sur ses prérogatives et s’offusque des interférences des hommes de la présidence. Parmi eux, Philippe Serey-Eiffel, conseiller économique d’Alassane Ouattara, et Amadou Gon Coulibaly, secrétaire général de la présidence, qui se mêlent de toutes les questions liées à l’économie, aux infrastructures et au budget, jusqu’à donner directement des consignes aux ministres. Début août, Soro a vu rouge et sommé lesdits ministres de ne plus obéir au conseiller français. Depuis, les choses sont rentrées dans l’ordre : Serey-Eiffel, nommé en septembre coordinateur du corps de conseillers de la présidence, a été prié de se faire discret.
Des itinéraires divergents
Au départ, rien ne prédestinait les deux hommes à s’entendre. Une génération les sépare : Ouattara, 69 ans, pourrait être le père de Soro, 39 ans. Le premier est malinké et musulman ; le second, sénoufo et catholique. Leurs parcours divergent aussi : le chef de l’État est un brillant économiste, passé par la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), le Fonds monétaire international (FMI) et la primature ivoirienne. La communauté internationale voit en lui une sorte de « président idéal » et ferme les yeux sur la poursuite des exactions.
Titulaire d’une maîtrise d’anglais, Soro est un ancien leader estudiantin arrivé au pouvoir par les armes. Excellent tribun, c’est un redoutable politicien dont les grandes puissances se méfient. Élevé à l’idéologie marxiste, il s’est converti au libéralisme, mais reste très souverainiste. Et quand Ouattara, son « grand frère », n’ose pas trop dire non à ses amis français, Soro, lui, n’a pas de problèmes de conscience – du moins pour le moment.
Entre les deux hommes, qui se tutoient, il y a donc un monde. Leur première rencontre date du milieu des années 1990. À l’époque, Soro dirigeait la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (Fesci). « Au début, nous n’étions pas vraiment sur la même longueur d’onde, précise le Premier ministre. J’étais plutôt proche de Laurent Gbagbo. » C’est lui d’ailleurs qui, involontairement, le jettera dans les bras de Ouattara en plaçant à la tête de la Fesci, fin 1998, un Bété, Charles Blé Goudé, plutôt que Yayoro Karamoko, dont Soro était proche, et qui est aujourd’hui leader de la jeunesse du Rassemblement des républicains (RDR).
Le jeune Soro s’éloigne de son mentor, qu’il accuse de surfer sur la vague de l’ivoirité. Il s’exile en Grande-Bretagne puis en France, où il poursuit ses études d’anglais et de sciences politiques. Il se rapproche d’Alassane Ouattara, qu’il voit à son domicile parisien. Lors de la campagne pour les législatives de décembre 2000, il s’engage même aux côtés d’Henriette Diabaté, la numéro deux du RDR. Prenant progressivement la tête politique de la rébellion des Forces nouvelles (FN) à partir de septembre 2002, il entretient une relation très régulière avec l’opposant Ouattara.
Les choses se gâtent quand, en mars 2007, Soro accepte de devenir le Premier ministre de Gbagbo. Dans l’entourage de Ouattara, on accuse le nouveau chef du gouvernement de jouer pour lui, voire même de trahir la grande « cause nordiste ». Et de fait, en février 2008, Soro ne répond pas à l’appel d’Alassane Ouattara, qui a ouvert les portes du RDR aux cadres des FN. Pourtant, même s’il a acheté une résidence dans le quartier de la Riviera, à Abidjan, Soro habite toujours au Golf Hôtel, à deux pas du domicile de Ouattara, qu’il continue à voir régulièrement.
« Il s’est définitivement rapproché quand il a compris que Gbagbo ferait tout pour l’éliminer après la présidentielle, explique un proche du chef du gouvernement. Pour lui, c’était une question de survie. Il a alors négocié son avenir, celui de ses représentants politiques et de sa branche armée. Ouattara s’est engagé dès la fin 2008 à intégrer les FN dans l’armée s’il était élu. »
Entre les deux tours de la présidentielle, fin 2010, les deux hommes se rencontrent discrètement et dessinent les scénarios de l’après-Gbagbo dans le cas d’une victoire finale de Ouattara. Ils ont soin d’associer Henri Konan Bédié, que Gbagbo tente lui aussi de courtiser. Ouattara va jusqu’à lui proposer de choisir le nom du futur Premier ministre, Soro pouvant aller à l’Assemblée nationale. Finalement, face à un Gbagbo qui refuse la défaite, Soro est reconduit pour mener la guerre.
L’ombre de Compaoré
Un autre homme a joué un rôle prépondérant dans l’alliance scellée entre Soro et Ouattara : le très secret Blaise Compaoré. Très proche des deux hommes, qu’il tutoie, le président burkinabè connaît le premier depuis une décennie, le second depuis près de trente ans. Que cherche-t-il en Côte d’Ivoire ? Le positionnement de son « enfant », le Burkina. Depuis l’ère coloniale, ses concitoyens migrent nombreux vers le royaume du cacao – il y aurait près de 3 millions de Burkinabè en Côte d’Ivoire (des paysans, pour la plupart, qui envoient régulièrement des fonds dans leur pays d’origine).
Pour Compaoré, Ouattara est l’homme qui peut enclencher la même dynamique de développement qu’Houphouët-Boigny. « Il a beaucoup d’admiration pour Ouattara, bien qu’il le trouve trop occidental dans sa tête, explique un proche du chef de l’État burkinabè. Il a donc mis à son service son expertise politique et lui a donné un grand coup de pouce lors de la dernière crise postélectorale. » C’est lui aussi qui fait entendre raison à Ouattara et arrondit les angles lorsque le feu couve avec le Premier ministre. Ce fut le cas en février 2010, quand Gbagbo décida de dissoudre la Commission électorale indépendante et le gouvernement – dissolution à laquelle Soro ne s’opposa pas suffisamment fermement selon Ouattara. Et c’est encore Compaoré qui conseille à Ouattara de cesser de menacer d’envoyer les comzones devant la Cour pénale internationale (CPI) afin de ne plus gêner les initiatives du chef du gouvernement pour les faire rentrer dans le rang.
Le président burkinabè a aussi aidé Soro à mûrir politiquement et à tenir une place capitale dans le processus de sortie de crise. Il a mis à sa disposition ses meilleurs experts : Djibril Bassolé, son ministre des Affaires étrangères, Mustapha Chafi, l’un de ses conseillers politiques, et Boureima Badini, son représentant en Côte d’Ivoire. Tous trois l’ont chaperonné à ses débuts et continuent aujourd’hui de le conseiller sur les dossiers sensibles. Soro voue une réelle affection à Compaoré, avec qui il échange quotidiennement, par téléphone ou par SMS. « Il m’a toujours soutenu en me conseillant et en m’encourageant, même aux heures les plus difficiles, mais sans jamais me dicter ma conduite », explique Soro. Aujourd’hui, Compaoré tient à ce que son « frère Alassane » travaille avec son « fils Guillaume », garant de ses propres intérêts.
Déjà un successeur ?
Pour le chef de l’État burkinabè, Soro est un pari sur l’avenir. C’est la continuité, l’assurance qu’Abidjan et Ouagadougou vont renforcer leur partenariat économique, politique et militaire. « Et on attend de Ouattara qu’il fasse la passe à Guillaume… », confie un proche du Premier ministre ivoirien.
Pour l’instant, le président ivoirien se veut rassurant. Il promet à Soro la succession au terme d’un deuxième mandat qu’il souhaite bien accomplir. Il parle peu du chef du gouvernement en présence des ambitieux leaders du RDR que sont Amadou Gon Coulibaly et Hamed Bakayoko, le ministre de l’Intérieur, mais tient ses promesses. Il a accepté le principe du redécoupage électoral, voulu par Soro, et fait une place à ses compagnons qui se présentent aux législatives sous la bannière RDR, le 11 décembre. « Soro a tout intérêt à attendre son heure en s’arrimant à la locomotive Ouattara, explique un diplomate occidental. Ce dernier, s’il réussit son pari, restera à la postérité comme celui qui a permis à la Côte d’Ivoire de devenir un pays émergent. Quant au Premier ministre, il est en train de se construire un bilan qui lui permettra de se positionner en légitime successeur. »
En attendant, Soro installe ses hommes aux postes clés de l’armée et de l’administration. En tout, plus de 2 000 fonctionnaires et près de 11 000 militaires en cours d’intégration. Politiquement, il a décidé de reporter le lancement de son parti. Mais le créera-t-il ? Candidat à la députation sous la bannière du RDR, il pourrait décider d’en briguer la direction ou de convoiter celle du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP), si celui-ci devait un jour se structurer en parti. Tout est possible.
Ouattara a promis de le reconduire à son poste pour une période de six mois à un an après les élections. Il semble avoir obtenu l’assentiment de son partenaire (Bédié) et des grandes puissances (France et États-Unis). Certains pensent même qu’il pourrait modifier la Constitution pour créer et lui confier un poste de vice-président. Une idée très en vogue en Afrique francophone (Sénégal, Gabon) et une fonction taillée sur mesure… Elle permettrait à Ouattara de respecter sa parole envers son allié Bédié en offrant au Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) la primature, tout en gardant Soro à ses côtés.
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Pascal Airault, envoyé spécial, avec Baudelaire Mieu, à Abidjan.

Côte d'Ivoire : ce qu'a dit Gbagbo à la CPI lors de sa première comparution

Laurent Gbagbo pour la première fois en audience devant la CPI, le 5 décembre 2011 à La Haye.Laurent Gbagbo pour la première fois en audience devant la CPI, le 5 décembre 2011 à La Haye.© AFP
 
Lors de sa première comparution à la CPI, Laurent Gbagbo s'est vu signifier les charges qui pèsent contre lui. Et s'en est pris vivement à la France. Florilège.
Première comparution de Laurent Gbagboà à la CPI. Le jury fait son entrée dans la salle à 14 heures précise. Laurent Gbagbo, les avocats de la défense, et l’accusation se lèvent puis se rassèyent. Costume bleu marine, cravate ciel et chemise blanche, l'ancien chef de l'État ivoirien est assis au dernier rang, à droite des juges. La juge Silvia Fernandez de Gurmendi lui demande de décliner son identité. « Je suis Laurent Koudou Gbagbo, mais officiellement, sur le papier, c’est Laurent Gbagbo. On m’appelle aussi Koudou, c’est mon vrai nom. Je suis né en 1945 à Gagnoa en république de Côte d’Ivoire », répond l’ancien président.
« Comprenez-vous bien le français », lui demande alors la juge. Réponse : « Je ne parle que français, malheureusement ». La juge rappelle qu’il ne s’agit pas d’un procès mais d’une audience qui a pour but de vérifier son identité, de lui signifier les charges qui pèsent contre lui et de lui lire ses droits. « J’ai été informé des crimes que l’on me reproche et de mes droits », se contente de dire Gbagbo avant de se rafraichîr. La juge lui explique qu’il ne peut témoigner contre lui-même et s’avouer coupable. Le detenu opine du chef avant de regarder les personnalités présentes dans le public, toutes assises derrière une vitre de verre.
Dans l'assistance, des représentants des corps diplomatiques, des militants associatifs ivoiriens, des membres des collectifs de victimes et, bien-sûr, la presse. Une centaine de journalistes ont fait le déplacement à La Haye. Il y a aussi Me Habiba Touré, une conseillère jurique de l'ex-président et Me Rodrigue Djadjé, l'avocat de Simone Gbagbo, l'épouse de Gbagbo actuellement recluse à Odienne au nord de la Côte d'Ivoire.
"C’est l’armée française qui a fait le travail"
À 14h11, en réponse à une question sur sa détention, l’ancien chef d’État se lève avant d’entamer un long plaidoyer contre l’intervention militaire de la France en Côte d’Ivoire et la manière de gouverner du président Ouattara. « Les conditions de ma détention à la Cour de La Haye sont correctes, a-t-il affirmé. Ce sont les conditions de détention normales d’un être humain. Par contre, celles de mon arrestation, le 11 avril 2011, le sont moins. J’ai été arrêté dans les décombres de la résidence officielle du chef de l’État qui a été bombardée du 31 mars au 11 avril. Le jour de l’assaut final, une cinquantaine de chars français ont encerclé la résidence. C’est l’armée française qui a fait le travail. Les forces régulières étaient alors de mon côté. Le ministre de l’Intérieur, Désiré Tagro, est décédé devant mes yeux. Mon médecin personnel, le Dr Christophe Blé, a également failli mourir. Mon fils aîné, Michel Gbagbo, actuellement en détention - pourquoi l’a-t-on arrêté si ce n’est parce que je suis son père - a été battu sous mes yeux. »
Je ne voyais pas le soleil. Ce n’est que lors des visites de mes avocats que j’ai pu voir la lumière du jour.
« On m’a alors emmené à l’hôtel du Golf, siège de campagne d’Alassane Ouattara. Le 13 avril, l’Onuci nous a transférés (avec son médecin, NDLR) à Korhogo, à plus de 500 km de là. On m’a alors enfermé dans une villa. On ma proposé trois repas par jour mais, comme je ne mange pas le matin, je n’en ai accepté que deux. Je ne voyais pas le soleil. Ce n’est que lors des visites de mes avocats que j’ai pu voir la lumière du jour. Et encore, mon avocat, Me Emmanuel Altit, est venu à Korhogo au terme d’un périple de deux jours. Mais on l’a empêché de me voir. J’ai connu l’enfermement sans pouvoir marcher, voir le ciel, sortir dehors. J’ai eu de nouvelles pathologies en plus de celles que j’ai déjà. Je ne suis plus un jeune de 20 ou 30 ans, vous savez. J’ai mal à l’épaule et aux poignets. Heureusement, depuis je suis arrivé à La Haye, j’ai passé des radios et on me donne des médicaments ».
"Surpris par certains comportements"
Le chef de l’État a alors marqué un léger temps mort, le temps de sourire et de lancer un regard à la presse, avant de continuer : « Concernant mon transfert à La Haye, je suis surpris par certains comportements... Là encore on nous a trompé. On m’a appelé (mardi dernier, NDLR) pour me demander de rencontrer un magistrat qui devait m’entendre dans le cadre d’une affaire. Pendant que l’on discutait avec ce magistrat au tribunal de Korhogo, le juge d’application des peines est arrivé avec le mandat d’arrêt de la CPI.
Immédiatement, j’ai improvisé (en fait, c’est la chambre d’accusation d’Abidjan qui s’est réunie exceptionnellement à Korhogo, NDLR) une séance de jugement pour que la Cour donne son autorisation à mon transfert. »
Je suis venu à La Haye sans rien excepté mon pantalon et ma chemise.
Nouvelle reprise de souffle avant de conclure : « Je suis là, on va maintenant aller jusqu’au bout. Madame la juge, je tiens toutefois à vous signaler, pour les cas futurs, que l’on peut faire les choses de manière plus normale. On n’a pas besoin de se cacher pour nous transférer à La Haye. J’ai dirigé la Côte d’Ivoire pendant dix ans. Je n’ai pas fait ça. Une fois l’audience de Korhogo achevée, mon geôlier (le commandant Fofié Kouakou, en poste à Korhogo, NDLR) m’a emmené dans sa voiture en direction de ma villa. Mais il a dépassé le lieu de ma résidence. "On ne s’arrête pas", ai-je demandé. Il m’a répondu : "Non, on va l’aéroport. Il n’est pas éclairé et votre avion doit partir avant 18 heures 30. Ou est ce que je vais ?" lui ai-je alors demandé. Il n’a pas eu le courage de me le dire. Il a dit : "Abidjan." J’ai alors rigolé car j’avais compris. Je suis venu à La Haye sans rien excepté mon pantalon et ma chemise.
La réaction de Toussaint Alain (communiqué)
(...) Par la seule volonté de la France, Ouattara a transféré à la CPI, le président Laurent Gbagbo en violation de la Constitution et des lois ivoiriennes. C’est un procès de type néo-colonial. La CPI est devenue l’instrument, la chose de la France qui s’en sert pour assouvir ses noirs desseins politiques, régenter le paysage politique en Afrique, aider à l’accession au pouvoir de copains ou punir les dirigeants africains indociles comme le président Gbagbo.
En effet, le statut d’ancien Chef d’État du Président Laurent Gbagbo aurait dû conditionner son transfèrement à une autorisation préalable de l’Assemblée nationale requise par le procureur général près la Cour suprême. Par ailleurs, en sa qualité actuelle de membre de droit du Conseil constitutionnel ivoirien, le transfèrement du président Laurent Gbagbo exigeait également une autorisation préalable du Conseil constitutionnel, outre l’arrêt de la Chambre d’accusation autorisant son extradition. Or, aucune de ces procédures ne fut respectée ! Aucune de ces autorisations préalables ne fut sollicitée par les autorités ivoiriennes.(...)
Madame la juge, prenez les précautions pour que dans d’autres pays, d’autres cas, cela ne se reproduise pas. Ça ne sert à rien. On veut faire croire que les gens ne veulent pas comparaître devant la CPI. Si on m’a accusé, c’est qu’on a des éléments de preuve. Lorsque je comparaîtrai, vous aurez les miens et vous jugerez. »
Hymne ivoirien
Laurent Gbagbo, s’est alors rassis à 14 heures 23 après une intervention de 12 minutes. La juge a alors fixé l’audience de confirmation des charges au 18 juin 2012. Une date qui pourra être reportée à la demande de l’accusation ou de la défense, si ceux-ci veulent plus de temps pour préparer l’audience. Mais ni le procureur Moreno Ocampo ni Me Emmanuel Altit n’ont, pour l’instant, émis ce souhait. La juge a alors demandé à ce qu’on attende la sortie des juges pour escorter Laurent Gbagbo en dehors du prétoire. L’ancien président s’est alors tourné vers le public. Il a salué Me Touré et Me Djadjé avant que le rideau se ferme.
Laurent Gbagbo a alors quitté la salle d’audience avant d’être ramené dans sa cellule de la prison de Scheveningen à une dizaine de kilomètres de là. Ses partisans, qui ont entonné l’hymne ivoirien durant les débats, ont eux aussi quitté leur loge avant de répondre aux questions de la presse. Dans les prochaines semaines et les prochains mois, le détenu va se consacrer à la préparation de sa défense qui, à l’image de ce qu’il a montré à cette audience, devrait être « musclée ». Ses cibles : la France et la république d’Alassane Ouattara.
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Par Pascal Airault, envoyé spécial à La Haye